Pourquoi le créationnisme n'est pas scientifique ?
Le premier point non scientifique du créationnisme est le besoin d'un Créateur omniscient et omnipotent pour expliquer la création. Un Dieu, quoi. Dès qu'il y a recourt à un tel procédé, on est dans le domaine de la religion et non de la science. Les théories de l'évolution se passent très facilement d'un créateur car elles sont basées sur des faits observables, empiriques et non surnaturels. La question de Dieu reste en suspens et chacun est libre de croire ou non qu'il existe un Dieu derrière les mécanismes de l'évolution. Dans le cas du créationnisme, ce recourt à un Dieu est encore plus précis (bien que généralement déguisé par des procédés rhétoriques qui n'illusionnent personne, sauf peut-être ceux qui les utilisent) : il s'agit du Dieu de la Bible, et aucun autre. Il s'agit donc du Dieu vénéré par une très petite proportion de l'humanité.
Les deux premiers caractères non-scientifiques du créationnisme : il est dogmatique (basé sur le récit biblique) et surnaturel (non-empirique). A partir de là, la discussion devrait être inutile, mais continuons.
Un autre caractère non scientifique du créationnisme, qui est relié aux précédents, est qu'il est impossible de prouver son postulat de base : la réalité du Créateur et de la création. En effet, quelle preuve a-t-on d'une création en une fois de toutes les espèces animales ? Aucune. Ce problème fait que tout l'échafaudage théorique qui a été bâti sur ce postulat indémontrable est infalsifiable. En effet, si l'on ne peut tester les prémisses de la théorie, la seule validité de celle-ci tient en son expression. C'est peut-être acceptable pour les théories métaphysiques mais pas pour les scientifiques. En effet, la " falsifiabilité " d'une théorie est un des critères nécessaires pour qu'on puisse considérer qu'elle est scientifique. Et l'évolution, en tant que théorie à déjà été maintes et maintes fois testée et falsifiée. La meilleure preuve en est que l'on ne considère plus comme parfaitement justes les mécanismes proposés par Darwin comme moteur de l'évolution (des théories comme le néo-drawinnisme ou les " équilibres ponctués " le rappellent). Et, Darwin lui-même avait falsifié la théorie de Lamarck. (Certains pensent peut-être que l'idée d'évolution des animaux commencent avec Darwin ? Détrompez-vous, cette idée remonte jusqu'à l'antiquité.) La théorie de l'évolution évolue, pas le créationnisme.
Les créationnistes doivent être conscients de ce défaut de leur théorie puisque leur technique favorite consiste non pas à trouver des preuves scientifiques en faveur du créationnisme (il est impossible de le faire puisque la seule preuve est la Bible) mais plutôt à attaquer la théorie de l'évolution. Cela, comme s'il n'y avait que deux explications possibles. C'est ce qu'a fait Julien en entrant dans le forum, et qu'il a continué à faire par la suite :
- Julien , Oct 24,2000,20:27 : " […] je me suis dit que je devais écrire pour aider les gens à ne pas se laisser berner par la pensée qui est véhiculée au Québec selon laquelle le créationniste [sic.] n'est pas de la science. Même si le point de la création autant que celui de l'évolution ne sera jamais prouvable (puisque personne n'était là lorsque la vie s'est crée ou a été crée) je me sens obligé d'admettre que pour l'instant les évolutionnistes on beaucoup de chemin à faire au niveau calculs et faits scientifiques. " (Notes : d'une part, il est parfaitement stupide de dire qu'une théorie est plus scientifique qu'une autre si on dit que les deux ne le sont pas. D'autre part, les preuves de l'évolution ne sont pas toutes historiques mais majoritairement actuelles, biologiques et pas mathématiques. Les créationnistes ne le comprennent pas parce qu'ils s'entêtent à ne pas y voir un phénomène biologique, j'y reviens plus loin.)
- Julien , Oct 25,2000,20:14 : " De plus, vous devez savoir que si nous n'avons évolué, nous avons été créé. Il n'y a pas d'autre alternative à ce que je sâche. " (Note : c'est pas parce qu'on sait pas qu'il n'y en a pas.)
Je n'ai trouvé aucun argument direct en faveur du créationnisme dans les messages de Julien. Au mieux, ses seuls arguments sont indirects, du type : " cela s'explique mieux par une courte période de temps, donc soutient le créationnisme "*. Ces arguments, quand il sont vrais (et ceux de Julien ont tous été démontés, voir les réponses de Stéphane et Sébastien), ont comme seule valeur de soulever des faiblesses dans la théorie critiquée, mais ils n'établissent rien en faveur d'une autre théorie. En effet, un tel type d'arguments fait appel à l'ignorance (" on ne sait pas donc c'est forcément ma théorie qui est juste "), ce qui est contraire à l'esprit scientifique qui se base sur la connaissance déjà établie pour progresser (on sait ça, ça et ça, construisons une théorie là-dessus). C'est pourquoi, si je ne faisais que relever le caractère non scientifique du créationnisme, je ne prouverais rien sur le caractère scientifique de l'évolution. Je rajoute donc des arguments pour montrer que l'évolution est scientifique par elle-même et non pour laisser sous-entendre : si l'évolution est différente d'une théorie non scientifique, cela veut automatiquement dire qu'elle est scientifique. Une théorie opposée à une théorie non-scientifique peut très bien être elle-même non-scientifique, non ?
Troisième caractère non-scientifique du créationnisme : sa non-falsifiabilité.
Un autre caractère non-scientifique est que la théorie créationniste ne permet pas de comprendre, d'expliquer ou de découvrir autre chose. Comme c'est une croyance figée dans un dogmatisme non-empirique, elle ne permet aucune inférence, aucune prédiction sur les mécanismes naturels qui sous-tendent la diversité des êtres vivants : Dieu a tout créé, ça répond à tout, merci et au revoir. Quand quelque fait nouveau surgit (dans des domaines de recherche véritablement scientifiques), il a forcément déjà été expliqué et doit rentré dans l'hypothèse Dieu. A l'inverse, la théorie de l'évolution a été avancée pour expliquer et comprendre la diversité du monde vivant, et si quelque fait nouveau ne rentre pas dans la théorie, on la change (voir plus haut). De plus, cette théorie a permis de prédire l'existence d'espèces non encore découvertes (fossiles ou non). Elle a permis d'expliquer les ressemblances entre les embryons des vertébrés. Elle a permis le développement de nouveaux axes de recherche (en génétique, par exemple). Le créationnisme, lui, est resté très très stérile par comparaison. (L'Institute for Creation Research n'a même pas découvert l'arche de Noé, pas faute d'avoir essayé :-) )
Quatrième caractère non-scientifique du créationnisme : il ne permet ni de prédire ni de découvrir quoi que ce soit.
Un point que je trouve étonnant, qui ne concerne pas tant le caractère scientifique du créationnisme que les moyens utilisés par les créationnistes pour se donner (s'usurper !) une certaine légitimité, est que plus de 90% de l'argumentation créationniste se base sur la paléontologie, l'astronomie, la géologie et à peu près jamais sur la biologie. Une répétition est donc importante : les théories de l'évolution sont des théories biologiques, qui ont été inventées pour expliquer la diversité des espèces actuellement observables. Seulement une cinquantaine de pages de l'" Origine des espèces " de Darwin, sur environ 500 (10-11%), portent sur les preuves paléontologiques, les 90% restant s'intéressant à des exemples d'animaux vivants (pinsons, orchidées, etc.). Les pois de Mendel n'étaient pas fossiles. L'ADN est récoltable partout, encore maintenant et montre des similitudes interspécifiques énormes. Etc. Etc. Etc. L'absence d'arguments créationnistes de ce côté-là s'explique facilement par l'absence de véritables biologistes dans leur rang. Il serait d'ailleurs intéressant de déterminer si cette absence est due au fait que " rien n'a de sens en biologie, sauf à la lumière de l'évolution " (T. Dobzhansky), donc que les premiers concernés comprennent bien l'ineptie du créationnisme, ou si c'est parce que les biologistes comptent parmi les moins croyants des scientifiques (comme l'a dit Gaël, statistiques à l'appui). Toujours est-il qu'il est impossible à Julien, ou a tout autre créationniste, de répondre scientifiquement (sans faire intervenir Dieu) à des remarques concernant les preuves amenées par les domaines de l'anatomie, de la physiologie, de la génétique comparées (" comparée ", ajouté à un nom de science, veut dire que cette science s'intéresse à la comparaison entre les espèces, actuelles ou non), et même de la médecine. En effet, comment expliquer que les tests sur les animaux permettent le développement de médicament pour l'homme, s'il n'existe pas un lien biologique entre les animaux et l'homme ? Pourtant, les preuves mises de l'avant par ces domaines scientifiques sont toutes empiriques (une seule référence, mais riche d'exemples, sur l'évolution du système nerveux : Nieuwenhuys, R., Donkelaar, H.J.ten, Nicholson, C. (1998) The Central Nervous System of Vertebrates. Springer), et se passent très bien d'explications surnaturelles.
Autre faiblesse du créationnisme : il n'est pas pertinent.
Julien : " J'espère que vous agirez vraiment comme dit le titre : "Promouvoir une pensée rationnelle et un esprit critique". Je dis cela parce les répliques qui m'ont été faites ne respectent pas cette idée. "
Lui même ayant a) ramené dans sa liste au moins un argument pour lequel j'avais déjà donné des contre-arguments, b) jamais répondu à certains arguments critiques bien précis qui lui ont été avancés, on voit avec quel " esprit critique " il a lu les arguments qui lui ont été opposés. Ce genre de sorties strictement rhétoriques, car non appuyées par des citations précises, et qui n'apportent strictement rien à une discussion sérieuse, est un des " arguments " préférés des créationnistes (voir la transcription du débat Saladin-Gish - http://www.infidels.org/library/modern/science/creationism/debates.html -, pour s'en convaincre).
D'ailleurs, l' " esprit critique " de Julien a du aussi faire relâche lors de son étude des arguments étayant l'évolution. Le seul point précis qu'il nous ait présenté est qu'il est allé voir une conférence de S.J. Gould à l'Université McGill. Il se trouve que j'ai vu cette même conférence, très intéressante au demeurant, mais qui concernait une hypothèse sur un point particulier des mécanismes de l'évolution que défend Gould (celle des " spandrels ", que Julien serait bien en peine d'expliquer, je parie**) et absolument pas une présentation des théories sous-tendant l'évolution. Essayer de comprendre l'évolution à partir de cette conférence revient à essayer de comprendre, sans aide, les règles et l'historique du baseball en regardant une seule demi-manche. Bref, pas une étude sérieuse. Comme les autres points pouvant faire croire qu'il a essayer de comprendre l'évolution sont les leitmotivs créationnistes cherchant à attaquer l'évolution (en plus de " calculs " vagues et allusifs), on peut sérieusement douter que son " étude " a dépassée le stade de la lecture de textes pro-créationnistes.
Ce problème, l'inculture des créationnistes concernant l'évolution, est malheureusement partagé par certains des créationnistes les plus influents (voir les débats cités plus haut) : ils se prétendent ouverts à la critique, et ouverts d'esprit tout court mais n'ont souvent, dans les faits, que peu de notion de ce qu'est l'évolution. Ce qu'ils critiquent le plus souvent c'est un " épouvantail " qu'il leur est facile de tourner en dérision, mais qui ne correspond que peu à ce qu'est véritablement l'évolution.
Je rêve peut-être, mais j'aimerai que, si un partisan du créationnisme répond à ce message, ou en poste un nouveau, il discute d'abord le caractère scientifique (ou non) du créationnisme avant (d'essayer) de s'attaquer à l'évolution. C'est la seule et unique manière qu'il aurait de montrer qu'il n'est pas de mauvaise foi. Si cette condition n'est pas remplie, cela ira dans le sens que les créationnistes préfèrent taire le caractère absolument dogmatique de leur pseudo-science. Afin, sans doute, d'éviter de trop bien montrer que, comme " science ", le créationnisme n'a pas vraiment d'objet de recherche mais est plutôt une activité " anti-évolutionniste "***.
Jean-François
* Une explication autre serait que l'on ne connaît pas véritablement le rythme de l'évolution. Si la terre était jeune - et, rien n'indique qu'elle l'est -, l'évolution pourrait être expliquée par un rythme de différenciation plus rapide. Quant on est dans le domaine des hypothèses ad hoc, le recourt au créationnisme n'est pas une nécessité.
** C'est pourquoi je vais le faire pour les curieux intéressés. Les " spandrels " - je suis désolé, je n'ai pas retrouvé la traduction française de ce terme d'architecture - font une référence aux quatre espaces qui sont entre les colonnes soutenant une ogive (l'exemple de Gould est celles de la cathédrale Saint-Marc à Venise). Bien que ces espaces soient parfois richement décorés, ce sont des conséquences indirectes des besoins architecturaux visant à l'édification de l'ogive et non le but recherché lors de l'érection de l'ogive. Par analogie, Gould et Lewontin posent l'hypothèse que certains traits ne sont pas sélectionnés lors de l'évolution mais surgissent comme des à-côtés de traits qui, eux, sont sélectionnés. Un des exemples de " spandrels " qu'il prend généralement est que certains hérons utilisent leurs ailes comme " parasol " pour mieux voir leurs proies dans l'eau (ils entourent leur tête de leur ailes, ce qui créé une ombre leur permettant de mieux voir sous la surface). L'aile, qui a évoluée pour permettre le vol, trouve ici une utilité qui n'a pas été sélectionnée par l'évolution.
Dites-moi maintenant si un tel sujet permet de comprendre les bases de l'évolution ? N'est-ce pas plutôt une discussion sur un point de détail?
*** Il existe certainement des créationnistes qui recherchent véritablement et honnêtement une base scientifique au créationnisme. Il existe, d'ailleurs, diverses factions créationnistes, dont certaines sont pour une " terre vieille " (plus vieille que les 6000 ans bibliques, en tout cas). Le problème est que leur voix est généralement enterrée par les plus virulents et moins posés d'entre eux, qui sont aussi ceux qui s'y connaissent le moins en évolution.
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