Je réponds principalement au https://forum-sceptique.com/archives/36087.html#36087 de Jules.
Salut Jules,
Tu dis : "...pour moi le problème qui se pose est qu'il n'y a pas que Ste Catherine. des gens prétendent que Saint Joseph de Copertino s'élevait régulièrement en l'air, ou Sainte Thérèse d'Avila, St Jean Joseph de la Croix, le Père Antoine Margil, le dominicain Jean Massias, Marie d'Agréda, Maria Villani, Saint Philippe de Neri, Passitéa Crogi, ou Dominique de Jésus Marie qui a même gravement blessé un sceptique qui s'était accroché à lui pendant une lévitation, mais qui effrayé, a tout laché et s'est lamentablement cassé la gueule."
J'ai retrouvé (via Google) ton anecdote du "sceptique décroché" à http://perso.wanadoo.fr/casar/chap7.htm , vers les 40% de la page. C'est un site moins "spécialisé-religion" (on y parle d'ovnis et de paranormalités générales) que le http://www.lejardindeslivres.com/04encyc1.htm#sdfootnote14sym que tu nous as donné. En tout, ça doit bien faire quelques dizaines de cas de lévitation "dûment répertoriés". Je ne les ai pas comptés.
En passant, j'ai été bien surpris de trouver, dans mon site-Google, que le dernier quart de la page était occupé par une réponse de Francis Gatti à Alain Bonnier, ancien président des Sceptiques du Québec. Le monde est petit.
Ce que je pense de cette multitude de rapports de rapports (la répétition n'est pas une coquille) de témoignages? Essentiellement, que le bulldozer hydraulique des arguments du NON tire encore beaucoup plus fort que les trottinettes (même nombreuses) des arguments du OUI.
Je traite l'affaire comme un problème de probabilités subjectives.
Imaginons qu'on lance 100 fois deux dés. Chaque fois on a une chance sur 36 d'obtenir 12 points (un double 6). Imaginons aussi qu'on reçoit 100 "rapports de rapports de rapports de lévitation" et que chacun a une chance sur 36 de correspondre à un "vrai cas". (Cette chance sur 36 est très généreuse. Je mettrais beaucoup moins. Je prends 1/36 pour renforcer le parallèle entre les deux problèmes de probabilités, le cas objectif (les dés) et le cas subjectif (les rapports de lévitation)).
Quelle est la probabilité que, dans les 100 lancers des deux dés on obtienne au moins une fois un double 6 ?
Le problème est élémentaire. La réponse est 1 - (35/36)^100 = 94%. Autrement dit, on est pas mal certain que, dans le tas, il y a au moins un "bon" cas.
Quelle est, maintenant, la probabilité que, parmi les 100 rapports (de rapports...) de lévitation il y ait au moins un vrai cas? Le même gros 94%? NON.
Les probabilités subjectives ne se traitent pas comme les objectives. Une probabilité subjective n'est pas un point (concentré à 1/36) mais une distribution (dispersée autour de 1/36).
Je l'illustre par un nouvel exemple.
Imaginons qu'on te présente un objet un peu fragile. Disons, une assiette de porcelaine. Devant tes yeux, on laisse tomber l'assiette d'une hauteur de 2 cm et elle reste intacte. Ensuite, on la laisse tomber d'une hauteur de 2 mètres et tu vois l'assiette se briser en mille miettes. Puis on te présente une nouvelle assiette (identique à la première) et on te demande de juger, d'estimer à l'oeil, de quelle hauteur H il faudrait laisser tomber l'assiette pour qu'elle ait une chance sur 36 de se briser. C'est-à-dire pour que, dans un pari avec mises de $1 (pour l'option "bris") versus $35 (pour l'option "non bris") tu hésites entre parier pour un côté plutôt que pour l'autre.
Poursuivons l'exemple. Supposons que, après avoir bien observé l'assiette, tu juges que cette hauteur critique est H = 7 cm. Pour cette hauteur critique, tu estimes que l'assiette a une chance sur 36 de se briser. Pour plus haut, tu préfères parier $1 sur l'option "bris". Pour plus bas, tu préfères parier $35 sur l'option "non bris". Pour H = 7 cm, les deux options te paraissent également attrayantes (c'est-à-dire, neutres).
Poursuivons toujours. On amène 100 assiettes qu'on va toutes laisser tomber d'une hauteur de H = 7 cm. Quelle est la probabilité qu'au moins l'une d'elles se brise?
Si la chance sur 36 (pour chaque assiette, de se briser) était une probabilité objective, la probabilité qu'au moins une des 100 assiettes se brise serait le 94% de tout à l'heure. Une "quasi certitude". Mais ce raisonnement est fautif car les probabilités subjectives ne sont pas des points mais des distributions.
La probabilité objective que l'assiette se brise est fonction (croissante) de H, avec f(0) = 0 et f(l'infini) = 1. On ne sait pas exactement pour quelle valeur de H on obtient f(H) = 1/36. Quelle est la véritable valeur de f(7 cm)? Est-ce nécessairement proche de 1/36? NON. Le plus probable est que le véritable f(7 cm) soit proche de 0 ou proche de 1, selon qu'on ait raté par le dessus ou par le dessous l'endroit où la courbe de f monte brusquement de "proche de 0" à "proche de 1".
Puisque la "moyenne subjective" de ce f(7 cm) est 1/36 et que ses deux valeurs probables sont "proche de 0" et "proche de 1", on en conclut que, subjectivement, selon ta propre estimation, la probabilité qu'une assiette se brise en tombant de 7 cm a 35 chances sur 36 d'être proche de 0 et une chance sur 36 d'être proche de 1. C'est la probabilité subjective elle-même qui est aléatoire. Il est là, le coeur de l'affaire.
En fin de compte, on trouve que, si on laisse tomber les 100 assiettes d'une hauteur de 7 cm, on a (subjectivement) presque une chance sur 36 qu'elles se brisent toutes et presque 35 chances sur 36 qu'elles restent toutes intactes, avec des poussières pour les cas intermédiaires (1 bris, 2 bris, ..., 99 bris).
Presque 35 chances sur 36 qu'elles restent toutes intact, ça correspond à "à peine plus d'une chance sur 36", soit moins de 3%, pour l'option "au moins un bris". 3%, c'est très loin du 94% qu'on obtient en traitant les probabilités subjectives comme si elles étaient objectives.
J'espère que tu suis toujours... :-)
Revenons à nos 100 rapports de rapports de ... de rapports de lévitation. Quelle est la probabilité qu'il y ait au moins un vrai cas dans le lot? Réponse: à peine plus que la probabilité qu'un cas particulier soit vrai. C'est-à-dire, selon moi, très très peu.
Une autre façon, moins compliquée, de dire la même chose est la suivante. Si un jet de marshmallow n'entame pas le "mur" du scepticisme (i.e. le concert des sciences), mille jets de marshmallows ne l'entament pas beaucoup plus.
Bon. Je m'arrête là. J'ai faim. J'ai pas dîné (déjeuné, pour les européens). ;-)
Denis
P.S. Que penses-tu, Jules, des rapports de lévitation qui proviennent du monde non-chrétien? Du monde islamique, par exemple, ou hindou? Ne penses-tu pas, comme moi, que là où on en trouverait le plus (par 1000 habitants), c'est dans les tribus perdues (et illettrées, imbibées de magie, avec forte tradition orale) d'Afrique, d'Amazonie ou de Nouvelle-Guinée? Par 1000 habitants, penses-tu qu'on en trouve autant sur les campus de Berkeley, de M.I.T. ou de l'UQAM? Si tu avais à parier?
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