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Quatres Dilemmes pour Denis


Posté par Kraepelin , Dec 22,2002,10:32 Index  Forum

Péponse à:
https://forum-sceptique.com/archives/41771.html#41771

Salut Denis,

1) Denis: " Ce sujet touche une corde sensible."

K: La valeur de la vie humaine, une corde sensible? Je ne sais pas??? Allons, laisse-moi réfléchir...(temps). Oui, c'est une corde sensible!

2) Denis: "Et je pense que c'est un cas où "raisonner avec le coeur" mène à une conclusion différente de "raisonner avec le cerveau". Tu tiens au contraste qualitatif (infini) entre l'homme et les autres animaux, qu'importe que ça coince ou pas du point de vue pragmatique et
rationnel."

K: Tu as parfaitement raison sur ce point. En fait, tu dis la même chose que moi. Mon "raisonnement" est essentiellement éthique. Mon raisonnement repose donc sur une valeur, un principe viscéral irréductible ("raisonner avec le coeur"). Le reste de mon argumentation est là pour étayer ce principe, pour lui donner ses champs d'application. Le principe n'est pas une conséquence du raisonnement. Il en est la cause. Je suis parfaitement conscient de ce fait. Je n'ai jamais dit le contraire.

Ma prétention est que certains problèmes doivent être traités de cette façon. C'est le cas de la vie humaine. Il y en a d'autres. Aussi, je n'ai aucune honte à m'inscrire dans un raisonnement reposant sur un "a priori". Je te reproche même justement de ne pas le faire.

La "raison", la rationalité, la logique, la vérification empirique sont pour moi parfaitement instrumentales. Tous ces beaux outils ne sont pas des fins. Ils sont des instruments mis au service de choses plus importantes. La raison est subordonnée à des choses plus importantes.

3) Denis: Ton "raisonnement" est émotif. Pas rationnel. Un tipeu comme Julien ( je m'excuse ;-) ) qui tient à sa révélation (la bouée de salut de son âme) plus qu'à la prunelle de ses yeux, ce qui le force à nier des milliers de faits qui ne s'accordent pas avec ses dogmes.

K: Tu n'as pas à t'excuser. Il y a une parenté entre Julien et moi. Julien me tape sur les nerfs pour des raisons que j'ai expliquées, mais il y a des choses honorables chez Julien et je les honore. Mais, cette parenté entre Julien et moi n'est pas exactement à l'endroit où tu crois la trouver. Premièrement, je suis conscient de subordonner mon raisonnement à un "a priori". Julien ni avoir un "a priori". Il prétend que sa conclusion découle de l'observation. Il fait de l'attention sélective et est incapable de s'en rendre compte. Deuxièmement, Julien occulte ses principes viscéraux alors que moi je les affirme. Troisièmement, Julien n'a pas exactement les mêmes principes que moi.

4) Denis: "Toi, tu tiens à être d'essence sur-animale, incommensurablement supérieure. Moi, je n'y tiens pas du tout. Je suis donc moins émotivement "attaché" que toi. "

K: Là, tu caricatures! Je ne dis pas que l'homme est incommensurablement supérieur à l'animal. Biologiquement, scientifiquement nous ne sommes rien d'autre que des animaux. Mais une des particularités de notre espèce est d'avoir atteint un niveau intellectuel qui nous permet d'être plus conscients de la place que nous occupons dans la nature. Par ailleurs, nous sommes capables de jugement moral. Cela implique déjà des "responsabilités". Ces responsabilités ne peuvent se définir uniquement sur la base d'une rationalité. Ces responsabilités doivent se définir aussi en fonction de "valeurs". C'est dans le registre des valeurs que s'inscrit ma prise de position.

5) Denis: "Selon toi, ou on est un homme, ou on n'en est pas un. Ou on est un chat, ou on n'en est pas un. Ou un poisson. Ou une pomme. L'essence de "pomme" ne souffre pas le passage continu entre "pomme" et "pas pomme".

Je ne suis pas d'accord. Je pense que tes essences sont des constructions de l'esprit et que la réalité est plus fine que les compartiments dans lesquels l'esprit essaie de la forcer. Par exemple, je pense qu'il y a passage continu entre la pomme et la poire, entre la chaise et le fauteuil, entre le bleu et le vert, entre le chocolat et le caca, et entre l'homme et le poisson. (...)"

K: Je n'ignore pas cette continuité. Je suis évolutionniste. Lorsqu'on regarde nos arbres généalogiques, certaines espèces nous sommes plus apparentés. Les mammifères sont plus proches de nous que les poissons. Les autres primates sont plus proches de nous que les autres mammifères. Mais, d'une part, le caractère relativement continu de ce processus n'empêche pas les ruptures qualitatives. Par exemple, il y a quelques années, un éleveur de vison a observé l'apparition d'une couleur nouvelle (Jaune, je crois) chez une de ses bêtes. Il a développé cette couleur. Il s'agissait d'un changement qualitatif. Les parents du premier vison jaune n'étaient pas jaunes. Lui et ses descendants étaient jaunes.

D'autre part, cela ne nous oblige pas à accorder la même valeur éthique à chaque petit changement. Par exemple : Avorter une femme enceinte de 3 semaines ou de 9 semaines, ne change rien d'un point de vue éthique et légal, même si 9 semaines c'est trois fois plus que 3 semaines. Lorsque le foetus devient viable à 24 semaines, notre "coeur" se resserre à l'idée d'un avortement, parce qu'il y a un changement qualitatif. Le rapport quantitatif entre 23 et 24 semaines est pourtant bien moins grand. Je ne sais pas jusqu'à quand un avortement est possible techniquement et légalement. Disons 32 semaines. À 32 semaines l'avortement est un choix triste mais acceptable dans notre société. Tuer un bébé d'une semaine (32+ 9= 41 semaines) est un infanticide épouvantable et condamné sévèrement (sauf si la mère souffrait de dépression ou d'un autre trouble mental). Pourtant, il n'y a que neuf semaines de différence. Nous accordons, arbitrairement, une grande importance éthique et légale à un petit détail mathématiquement insignifiant : L'enfant est né!

Le qualitatif est parfois fondé objectivement comme dans le cas de la viabilité d'un foetus. Le qualitatif est parfois purement arbitraire. Il s'agit pourtant dans chaque circonstance de changement subit et absolu qui ne tient pas vraiment compte des relations mathématiques.

6) Denis : "Le coeur-pivot de ma "démonstration" ne porte pas du tout sur les critères qui différencient l'homme du pré-homme. J'avais écrit : "Remarques que le problème n'est pas du tout la difficulté de
déterminer la valeur précise de T. Le problème est plus fondamental. Il vise l'existence même de
ce T critique. Quelle que soit la valeur (arbitraire) que tu peux proposer pour T, ça coince".

Le coeur-pivot de ma démonstration porte sur le Quelle que soit...

Quel que soit le critère qu'on peut imaginer, proposer, convenir, etc., le premier homme (selon ce critère) va satisfaire le critère de justesse et son père l'aura raté de justesse. Un peu comme un étudiant qui, avec une note de 61% réussit le cours alors qu'un autre, avec 59%, le rate. Même si les deux étudiants sont pratiquement de "même force", il y a une différence essentielle et qualitative entre le succès et l'échec. Et quelle que soit la note de passage convenue (50%? 40%?) le même
phénomène se produit à cette nouvelle frontière où le continu devient discret. Réussir de justesse ou rater de justesse."

K: Exactement! Les relations entrent des seuils quantitatifs pris comme critères et des valeurs qualitatives provoquent des ruptures absolues. Tu as échoué ton cours à 59%. Tu l'as réussi à 61%. Tu es une patiente qui se fait avorter à 32 semaines. Tu es une meurtrière à 41 semaines.

Denis: " Dans un autre post, ( https://forum-sceptique.com/archives/41759.html#41759 ), tu dis : "Je ne crois pas que Denis soit un monstre. Devant une pareille éventualité (tuer un homme ou tuer 25 gorilles), je suis persuadé qu'il sacrifierait les gorilles."

Quitte à passer pour un monstre et à prendre une plonge dans ton estime, je sacrifierais plutôt l'homme. Sans rire. Misère!"

K: En effet, tu prendrais une plonge dans mon estime. En fait, bien pire que ça. Mais je ne te dirais pas quoi parce que le WM censurerait ma réponse.

Mais, je n'en crois rien! Je crois que tu fais un exercice purement intellectuel et que tu ne t'en rends pas compte. C'est à mon tour de te comparer à Julien. Comme lui tu es aveuglé. La différence est simplement une symétrie. Julien est aveugle au rôle que jouent ses principes dans son raisonnement. Tu es aveugle au rôle que joueraient tes principes dans une circonstance réelle.

Denis: On dirait que nos opinions se détachent dans ce bout-là et j'aimerais bien qu'on essaie d'y voir plus clair. Il faudrait cartographier cette "frontière étrange", comme au redico. Tiens, je pense qu'une bonne façon d'essayer de le faire serait de comparer nos choix (appuyer sur le bouton A ou sur le bouton B) dans quelques situations hypothétiques où l'on doit peser sur l'un ou l'autre des boutons. Sous peine, disons, qu'une machine incorruptible pèse sur les deux boutons si on refuse de choisir.

K: Tu me proposes des dilemmes moraux. Je veux bien essayer, mais je crois que ça n'éclaircira rien.

"Cas 1 :
Peser sur A fait mourir un gorille au hasard.
Peser sur B fait mourir 10 sardines au hasard.
Moi, je pèse sur B. Toi?"

K: Les sardines ne sont pas une espèce menacée. Je choisis B

"Cas 2 :
Supposons que l'espèce des perdrix à pattes bleues est menacée (il n'en reste que 10 spécimens
vivants) et que l'espèce des pintades à gorge jaune, elle, est florissante, avec des millions d'individus.
Peser sur A fait mourir les 10 dernières perdrix à patte bleue.
Peser sur B fait mourir 1000 pintades à gorge jaune.
Moi, je pèse sur B. Toi?"

K: Je choisis B

"Cas 3 :
Peser sur A détruit entièrement la ville de Bagdad. Tremblement de terre. 5 millions de morts.
Peser sur B détruit la ville de Reykjavik, en Islande. 125 000 morts.
Moi, je pèse sur B. Toi?"

K: C'est le dilemme moral le plus difficile. Même si les vies humaines se valent, le problème n'est pas uniquement mathématique. Ici, la question de la proportionnalité entre la responsabilité passive et la responsabilité active se pose. Je ne suis pas certain de mon choix. Je laisserais peut-être la machine faire son terrible carnage (5 125 000 de morts) parce que je n'aurais pas choisi de participer à ce dilemme et n'aurais pas à en assumer les conséquences. Je choisirais peut-être de vivre avec cette épouvantable culpabilité d'avoir fait un choix mathématique dans le but de sauver le plus possible de vies humaines. Je ne sais pas. Ce n'est pas un dilemme moral avec lequel je suis habitué de transiger.

"Cas 4 :
Considérons ton (hypothétique) voisin d'en face, âgé de 90 ans.
Peser sur A fait le fait mourir à l'instant.
Peser sur B fait mourir à l'instant TOUS les gorilles, TOUS les chimpanzés, TOUS les éléphants et
TOUS les dauphins de la planète.
Moi, je pèse sur A. Toi?"

K: La vie humaine est inestimable. Je sauverais sûrement mon voisin. J'aurais bien de la peine pour les animaux. Je serais mis à mal par cette épouvantable catastrophe écologique. Mais je choisirais quand même une vie humaine. Je ne vois pas ce que le fait qu'il ait 90 ans change à la chose. Explique-moi! A ton moins de valeur en vieillissant? La vie d'un déficient intellectuel a telle moins de valeur que celle d'une personne intelligente?


MES DILEMMES


Prenons la même situation que celle que tu me proposais (une machine démoniaque)

Cas 5:

A) 100 enfants autistes
B) 100 enfants normaux

Que choisis-tu?

Cas 6

A) 100 adultes blancs
B) 100 adultes noirs

Cas 7:

A) 100 médecins
B) 100 vidangeurs

Cas 8:
Je t'avertis cependant que ce dilemme n'a rien de fiction.

La syphilis est une vieille maladie. Pourtant, dans les années 50 on estimait encore mal connaître les développements de cette maladie à long terme ce qui causait des problèmes dans le traitement de cette maladie. Je ne sais pas exactement quoi, mais des problèmes sérieux.

Pour palier à ce déficit de connaissance, un groupe de chercheurs financés par l'État a décidé de combler le vide. Ils ont choisi secrètement un échantillon de syphilitiques noir du sud des État-Unis. Il s'agissait de gens très pauvres qui auraient probablement négligé de se faire examiner et soigner par un médecin. C'est la version officielle. Les chercheurs leur ont donné des services médicaux gratuits avec un suivi très attentif pendant des années pour mesurer exactement l'évolution de la maladie. Les cobayes étaient très comptant de cette attention gratuite et des médicaments gratuits qu'ils recevaient. Il n'y a qu'un hic. Les médicaments étaient des placebos. Ces noirs n'ont jamais consulté d'autres médecins. Ils n'avaient pas les moyens et ils étaient déjà traités.

En supposant que ces cobayes ne se soient jamais fait examiner par des médecins en dehors du programme de recherche et en supposant que cette recherche ait permis de sauver ensuite des milliers de syphilitiques, trouves-tu que le choix des chercheurs est acceptable? Est-ce moins grave parce que ce sont des pauvres? Est-ce moins grave parce que ce sont des noirs?



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