"Voici ce que j’ai envie de vous suggérer, au moment de conclure cette contribution à notre question : si d’aventure vous pouviez repérer, dans l’ensemble de vos démonstrations ou même seulement argumentations, un cas où il vous serait manifeste que vous avez dérapé, non pas par quelque défaut classique comme nous en commettons tous régulièrement et que nous corrigeons tout aussi régulièrement, mais par un processus qui vous surprenne, essayez de chercher d’où vient ce dérapage en termes de présupposés, de préconvictions, à propos de l’univers éliadien mais surtout à partir de ce qu’il représente pour vous, « quêteur de sens » me semble-t-il ."
C'était à peu près la réflexion que je me faisais en lisant votre message. Là, il va sérieusement falloir que je fasse le tri, car il s'est en effet produit une sorte d'osmose, si j'ose dire, entre ce qu'expose Eliade, qui m'a semblé lumineusement clair, et les sources et/ou idées personnelles que je brasse depuis longtemps, déjà. Mais pas ce (soir? c'est plutot le matin) car je vais tenter, une nuit suivant l'autre, d'essayer de dormir un peu, ce qui est parfois plus éreintant qu'il n'y parait!
D'autres digressions? Oh j'en ai bien une, qui était une réponse à une question qui pour moi n'a pas de sens, posée sur un autre forum:
"Que pensez-vous du Mal absolu?" (sous-entendu: personnifié et réel). J'avais alors rédigé un message en forme d'historiette, qui visait à exposer mon opinion sans blesser mon interlocuteur, ni ceux pour qui il existe, dans la réalité, le concept de Mal personnifié. Un peu trop simpliste à mon avis, mais, bon, pourquoi pas?.
Je me permets de vous le communiquer, en espérant vous faire sourire, ne serait-ce qu'un peu. Voici donc la:
Cosmogonie selon Saint Mondreiter
"Merde, je m'emmerde. Tiens, si je faisais quelque chose, pour changer?"
Et le Grand Barbu de cogiter comme seul un Grand Barbu sait faire. Il cogita longtemps, et décida de se lancer dans la réalisation d'une idée qui lui était venue. "Et si je m'essayais à la création de systèmes évolutifs ?". Oui, c'était bien joli, mais s'Il pouvait les créer sans problème, il se rendit soudain compte en un milliardième de picoseconde (il venait juste de créer le Temps), qu'il faudrait à ses systèmes évolutifs un milieu. Ils ne pouvaient nager au sein du non-être absolu, ce n'aurait pas été décent! Le Grand Barbu se prit donc la tête, et s'aperçut que la tâche allait être plus complexe qu'il ne lui avait paru. "Bof!. Faire ça ou peigner la girafe, après tout... Allez, au boulot, Camarade!". Et de commencer à créer le Ciel et la Terre, de séparer la Terre des Eaux, etc... Ses chroniqueurs ont expliqué tout cela en détail, reportez-vous à votre ouvrage préféré.
Quand il eut terminé tout le décor, le Grand Barbu put enfin lancer son programme de systèmes évolutifs. Il partit de quelques atomes de base, énonça des lois hyper-simples, les plus simples qu'il put imaginer, et se reposa, en regardant, fasciné, les atomes se grouper en molécules, puis en chaînes complexes, en unicellulaires, en pluricellulaires, et ça continuait, et ça continuait!
Un jour, le Grand Barbu, après une courte sieste, jeta un oeil sur ses petits systèmes. Il en vit un qui semblait atypique, ne serait-ce que par son agressivité manifeste. Ce système tirait littéralement sur tout ce qui bougeait, et, "attracteur étrange" vraiment très étrange, semblait menacer de conduire tout l'écosystème vers un état de stagnation, faute de combattants (et de combattus !)
Le Grand Barbu consulta ses collaborateurs, anges, archanges et autres séraphins, qui suivaient depuis le début la tentative du Patron, et qui étaient encore plus perplexes que lui.
"Vous en pensez quoi, mes amis? Vous n'avez pas l'impression que ça va être un fiasco, si ça continue? Pourtant, il y a eu une phase passionnante, mais ce truc, là, l'Homme comme ils s'appelle lui-même, il est en train de tout faire foirer! Pourtant il est bien, dans l'état actuel! Conditions de température idéales, rien à foutre de toute la sainte journée à par croître et multiplier, ce qui pour un système évolutif est la moindre des politesses, et il vient me foutre le bordel là au milieu! Z'auriez pas une idée, des fois ?"
Encore plus perplexes que devant, les membres du staff du Grand Barbu commencèrent à se triturer les méninges. Au bout de quelques siècles, et après nombre de propositions toutes plus biscornues et irréalistes les unes que les autres, le petit surdoué de service demanda la parole. "Oui, Lucifer, mon Porteur de Lumière? Tu as une idée?"
"Il se pourrait, Boss. A mon avis, ça ne réussit pas à l'homme, justement, de n'avoir rien à faire de ses journées. La pression d'évolution est nulle, dans ces conditions, et finalement, il ne fait que chercher à se désemmerder! Mais il n'évolue plus. Je propose ceci: fous le dehors! Mets la pression, place le dans un milieu où il faudra qu'il se batte à chaque instant pour survivre, et tu verras grimper en flèche la pression de l'évolution. Là où il en est arrivé, il faut au moins ça, si tu veux que l'expérience continue!"
Lucifer, étant un surdoué, savait que sa solution était la meilleure qu'un archange put formuler. Le Grand Barbu réfléchit un milliardième de picoseconde de plus, et objecta:
"C'est bien joli, ton idée, mais il faudra aller plus loin, je pense, si nous voulons des résultats intéressants. Pousse encore ton raisonnement, mon ami."
Lucifer rumina un moment.
"Bon sang mais c'est bien sûr!" s'exclama-t-il soudain. "Non seulement, tu les jettes dehors, mais tu leur fais croire que c'est eux la cause de cette décision. Si tu veux, on peut monter le scénario suivant: tu n'as jusqu'ici jamais rien interdit à l'Homme. Trouve un truc à lui interdire, barre lui la route, en somme, de façon à ce qu'il soit obligé de trouver des solutions originales!" Le Grand Barbu trouva l'idée excellente. "Je vais lui interdire de s'aventurer dans certains chemins, comme la connaissance du fonctionnement de l'univers, et celui de l'immortalité, car s'il acquiert la maîtrise de son environnement d'une part, et s'il arrête de mourir pour laisser la place à de nouvelles générations, plus d'évolution, et mon programme est à l'eau! Ca devrait le tenter très fort, ces deux tabous, non ?"
Lucifer opina. Aussitôt dit, aussitôt fait. Lorsqu'une décision était prise, le Grand Barbu ne restait jamais à la traîne. Comme prévu, l'Homme alla fourrer son nez dans les secteurs interdits, et On lui fit bien comprendre que, puisque c'était comme ça, le vilain gamin désobéissant allait se retrouver à poil dans la toundra en plein hiver! Le Grand Barbu et ses collaborateurs étaient fascinés au spectacle des prodigieux moyens d'adaptation que l'Homme mit alors en oeuvre. Loin de dépérir, il se répandit dans son nouvel habitat comme des asticots dans un fromage avancé.
L'homme gardait bien une certaine nostalgie de son état antérieur, mais étant éminemment adaptable, il s'en accommodait plutôt facilement. Il commençait même à y trouver son confort, et, dénué de scrupules comme il l'était, il recommença à foutre un bazar noir dans le plan du Grand Barbu. Ca stagnait, ce qui n'est pas, encore une fois, l'idéal pour un système évolutif
Le Grand Barbu reconvoqua ses collaborateurs, et Lucifer n'attendit pas qu'on lui donne la parole, cette fois, car il était littéralement hypnotisé par ces êtres étranges, même pour le plus doué des archanges. "Tu sais quoi, Patron ? La pression évolutive n'est toujours pas assez forte pour un tel système. Il ignore les contradictions internes, et quel que soit le milieu où tu le placeras, il continuera de le saccager. D'où arrêt de son évolution. Non, ce n'est pas sur son milieu qu'il faut agir. Il faut provoquer une modification de ses paramètres de fonctionnement de façon à ce qu'il se heurte en permanence à des obstacles. Il n'y a que comme ça qu'il pourra continuer d'évoluer. J'ai bien une idée, mais je ne sais..."
"Dis toujours", lui répondit le Grand Barbu, qui avait bien son idée sur l'idée de Lucifer.
"Eh bien voilà. Peu importe finalement pour un système comme l'Homme que les obstacles soient réels ou imaginaires, internes ou externes. Il suffit qu'il soit persuadé que ce sont des obstacles, et comme il n'aime pas les difficultés, nous allons lui en proposer une nouvelle série. Créons un ensemble de règles de fonctionnement, et édicte-les comme étant des règles absolues, divines, infrangibles. Evidemment, nous, ce genre d'idée nous fait rire, mais lui, il tombera dans le panneau, j'en suis sûr! "
"Et ça nous avancera à quoi ?" demanda le Grand Barbu perplexe. Lucifer avait décidément l'esprit pas simple!
"Examine la situation dans ce cas", lui répondit Lucifer, excité comme un boisseau de puces. "Il va se cogner continuellement contre des interdits, et ça va lui poser des problèmes. Mais il trouverait bien encore le moyen de les contourner, j'en suis persuadé. Alors.."
Le Grand Barbu lui coupa la parole: il avait compris et vu en un éclair les tenants et les aboutissants des hypothèses de Lucifer.
"Voilà comment nous allons procéder. On va faire comme tu as dit, et nous édicterons un ensemble incohérent de règles que nous appellerons "code moral", estampillé de mon sceau. Plus légitime, tu meurs! Mais comme l'Homme est contrariant, il est foutu de s'en accommoder. Aussi je te confie la mission que je ne puis confier qu'au meilleur d'entre vous. Tu iras pointer ton nez là-bas, et tu leur fera croire que tu es mon ennemi, et qu'il y a entre nous une lutte d'influence pour le poste suprême". Les anges et archanges et autres séraphins partirent d'un rire cosmique à cette idée farfelue. Si l'Homme croyait un truc aussi énorme, alors il était vraiment plus bête que nature! Fronçant les sourcils qu'il avait broussailleux, le Grand Barbu fit taire les rires, car il détestait qu'on l'interrompe. "Tu vas donc aller chez les hommes, et appliquer mon programme. Tien, un joli mot : tu les tenteras! Ca sonne bien!" dit le Grand Barbu avec une certaine dose d'autosatisfaction. "Tu inventeras une histoire à dormir debout, par exemple que s'ils appliquent notre Code Moral, ils retrouveront leur état d'origine, et que s'ils l'enfreignent, ils se retrouveront, après leur mort organique, dans un état encore pire qu'actuellement. Brode, invente, enlumine, comme je les connais, plus ce sera compliqué et plus ils s'y laisseront prendre. Alors donne ton maximum, Lucifer, j'attends beaucoup de toi, car si tu ne leur mets pas la pression, ils vont stagner. Ce serait dommage, car ils commencent à être attachants, ces petits systèmes."
Lucifer s'inclina, et partit remplir sa mission.
Depuis ce jour, tous les hommes ou presque sont persuadés qu'il existe un antagonisme fondamental entre celui qu'ils appellent Dieu et celui qu'ils appellent le Diable, et de bien d'autres noms encore, tant leur imagination est fertile. Le Grand Barbu est content, ses petits systèmes évoluent, et certains en sont même venus à douter de cet antagonisme feint. "Qui sait", se dit parfois le Grand Barbu, "peut-être un jour pourrai-je en faire mes collaborateurs. Heureusement que Lucifer était là, décidément, il est très doué!".
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Le thème n'est certainement pas nouveau, je le crains, et il doit bien s'être trouvé un jour et quelque part une quelconque hérésie pour soutenir sérieusement un tel point de vue. Mais je me suis beaucoup amusé à imaginer la scène, et c'est déjà ça!
Allez, avec mes amitiés, et à très bientôt,
Mondreiter
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