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Re:Re2:Créativité


Re: Re:Créativité -- Gene
Postée par Gaël , Sep 02,2000,09:53 Index  Forum

Re-salut,

Gene. “Oui mais assemblage de quoi ? Lorsque Paul Mc Cartney a composé « yesterday », œuvre absolument originale et inexistante auparavant, il a commencé vraisemblablement par le couplet et a ensuite créé le pont, et les a assemblés. Ca ne demeure pas moins un assemblage de créations originales.”

Gaël : Je ne parle pas de l’assemblage de différentes partie d’une oeuvre, mais du mélange des influences qui ont mené à la création de l’ensemble de l’oeuvre. Plus nombreuses sont les influences, moins elles sont reconnaissables, et l’oeuvre donnera d’autant plus l’impression d’être nouvelle et originale. C’est ce que je voulais exprimer par les exemples de mon message précédent.
Stravinsky aussi, avec “le sacre du printemps”, a fait une oeuvre qui semblait absolument originale. Et pourtant elle est essentiellement due à un mélange d’influences mal reconnaissables car pas toujours tirées du monde musical : sans la mode primitiviste des peintres des années 1910, sans l’influence des theories artistiques de l’époque, cette oeuvre n’aurait probablement jamais vu le jour. Elle est à mettre en parallèle avec les “demoiselles d’Avignon” de Picasso : il s’agit de la même volonté de renouveler ou rajeunir l’art en introduisant, entre autre, des rythmes inspirés de la musique des primitifs.


Gene : “Si vous êtes artiste vous devez parfaitement être conscient de la difficulté de créer sans tomber dans un cliché existant.”

Gaël : Oui, mais je ne vois pas quel rapport ça a avec le fait d’être spontané ou réfléchi dans la création.


Gene : “Si vous réfléchissez vous pouvez créer une œuvre réfléchie (dans le meilleur des cas), c.à.d. sans chaleur et « sans âme » comme le ferait un ordinateur (puisque l’on sait qu’avec le programme approprié on peut également créer avec un ordinateur).”

Gaël : Vous partez du principe que les musiques réalisées par des ordinateurs à partir de séries aléatoires ne sont pas de la vraie création. Je ne suis pas d’accord, puisque au contraire ces musiques ne tombent jamais “dans un cliché existant”. On devrait donc les considérer comme des création originales - et spontanées, puisque un ordinateur ne réfléchit pas. Et cela s’apparente de très près à ma conception de la création artistique : c’est essentiellement des assemblages plus ou moins aléatoires, qui sont conscients dans le cas de la création réfléchie, et plutôt inconscients dans le cas d’une inspiration spontanée (c’est à dire : de la cryptomnésie).


Gene : “D’autre part je note que vous êtes prudent car vous dites : « souvent » qu’assemblage.”

Gaël : Car personne ne peut dire exactement ce qu’il en est. L’inspiration ne fait pas partie des réalités sur lesquelles peuvent avoir lieu des expériences de nature scientifique, et tout ce que nous pourrons dire dessus ne sera que spéculations hasardeuses. C’est pourquoi dans mon message précédent je ne disais qu’apporter des arguments en faveur de mon hypothèse, contrairement à vous qui prétendez faire une démonstration. Ca me rappelle un message où vous disiez que les sceptiques donnaient des leçons et croyaient tout savoir... pour inverser ainsi la situation vous avez dû être victime d’une grosse dissonance cognitive. La dissonance cognitive est ce qui survient souvent lorsque une croyance se révèle être en contradiction avec la réalité : généralement le croyant préfère modifier sa perception de la réalité, plutôt que d’abandonner sa croyance.

Gene : « De la création à l’interprétation en passant par le développement vous pouvez passer par l’analyse de tous les échelons possibles en oubliant tout le temps le départ : La création … vous ne trouverez jamais car vous refusez le départ !».

Gaël : La création peut très bien fonctionner par association inconscientes ou par cryptomnésie. Ce n’est pas parce que le moment de la création surgit souvent d’une inspiration soudaine, semblant sortie de nulle part, qu’elle sort justement de nulle part... Ce serait une vision très simpliste.
Exemple : dans “le quark et le jaguar”, au chapitre III, le physicien Murray Gell-Mann raconte comment, avec un groupe de scientifiques, de peintres et de poètes, ils ont tenté de comprendre les mécanismes de la créativité en comparant leurs expériences personnelles. Elles étaient très semblables, et leur observation commune fut que la créativité fonctionnait souvent en trois étapes : 1- Réflexion sur un problème, 2- Echec de la réflexion, on laisse tomber le problème et on se consacre à d’autres activités, 3- Quelques jours ou quelques mois plus tard, une idée soudaine donne par hasard l’inspiration qui permet de faire avancer le problème ou de créer quelque chose de nouveau.
De ce modèle, ils conclurent que la phase 2 est une période d’incubation qui permet de se détacher du problème jusqu’à ce que quelque chose de nouveau permette de le faire avancer. Souvent ce quelque chose de nouveau arrive totalement par hasard et n’a rien à voire avec le problème : lapsus, analogie, événement de la vie quotidienne sans rapport avec le problème, etc... Quant à la phase 3, ils conclurent qu’elle n’était que le résultat d’un long processus en partie inconscient, et n’avait rien d’une création ex-nihilo.

Plus tard ils se rendirent compte que ces réflexions sur la créativité, ses 3 phases et les processus inconscients, existaient avant eux, et étaient même presque un lieu commun en psychologie...
Certains psychologues proposaient d’ailleurs, pour provoquer un moment de création, d’appliquer au problème que l’on se pose le dernier substantif de la première page d’un quotidien du jour. C’est aussi cette technique, en usant du hasard d’associations aléatoires, que pratiquent les “créatifs” des agences de publicité lorsqu’ils font un “brainstorming” - consistant à échanger à plusieurs toutes sortes d’idées, un peu au hasard, jusqu’à ce que de leur mélange sorte quelque chose de nouveau. L’expérience a prouvé que c’était le meilleur moyen de faire du neuf.
Bref, on voit bien là que l’inspiration spontanée se présente avant tout comme un assemblage, inconscient ou non, de données issues de divers domaines, parfois sans rapport avec le domaine dans lequel on travaille.


Gene : “Vous avez compris que si Beethoven a mis 11 ou 12 ans pour composer la 5ème, ce n’est pas tout ce travail qui est la création originale. Le petit trait initial est la création originale spontanée; tout le reste c’est du développement créatif (que l’on peut assimiler aussi à des idées) qui exploite la création originale. Cependant sans l’arrangement pour grand orchestre et sans interprétation la création n’aurait aucun sens. Cette remarque est importante pour la suite du raisonnement.”

Gaël : Raisonnement circulaire. Vous parlez de la création originale comme si celle-ci était par définition spontanée et totalement nouvelle. Il faut le prouver.


Gene : “Il est constaté dans le milieu artistique (et là au moins je sais de quoi je parle et je suis formel) qu’au moins on en sait au mieux on crée de façon originale (ça ne peut pas être plus logique !).”

Gaël : Dans les beaux-arts c’est totalement faux. Tous les plus grands artistes avaient une grande culture artistique. Et moi aussi je sais de quoi je parle et je suis formel.
Les artistes qui n’ont aucune connaissance de l’histoire de l’art (enfants, malades mentaux, paysans isolés, etc...) font ce qu’on nomme de l’art brut (external art pour les anglo-saxons, je ne sais pas quel terme est utilisé au quebec), art qui est :
1- Extrêmement contesté, car beaucoup d’artistes et de théoriciens refusent même de qualifier ces production d’oeuvres d’art,
2- Totalement dénuée d’originalité. La plupart des artistes bruts font des oeuvres qui se ressemblent beaucoup entre elles, qui sont immédiatement reconnaissables comme étant de l’art brut, et presque toutes ressemblent à des variations naïves sur des dessins d’enfant, avec plus ou moins de fioritures très kitsch (souvent des collages de coquillages ou de pierres colorées, etc..), et des motifs souvent assez semblables à ce qu’on peut trouver dans l’art primitif (lui aussi contesté en tant qu’art).


Gene : “C’est pour cette raison aussi qu’on dit qu’un enfant doué pour la peinture peut facilement créer un chef d’œuvre. Son inspiration est loin de toutes connaissances culturelles.”

Gaël : On le dit ? Qui le dit ? Moi je l’ai jamais entendu.
Un exemple tiré de l’histoire de l’art et reconnu comme un chef-d’oeuvre, svp...
Vous n’en trouverez pas, il n’en existe pas, du moins pas dans les beaux-arts. Même les oeuvres d’enfance de picasso sont sans intérêt, se réduisant à un travail très technique sans créativité.
Il y a deux ou trois phénomènes contemporains - une enfant chinoise, une adolescente américaine, j’ai oublié leurs noms. Mais ces exemples sont assez récents et il est trop tôt pour savoir si leurs oeuvres - par ailleurs peu connues - marqueront l’histoire de l’art ou non. Personnellement j’en doute beaucoup.


Gene : “L’humanité évolue grâce aux esprits créatifs.”

Gaël : Vraisemblablement. Et alors ?


Gene :”Ces créateurs surdoués travaillent le plus souvent incognito et sont exploités justement par les calculateurs avides d’argents et de pouvoir.”

Gaël : Vous avez un exemple de créateur surdoué qui soit resté incognito ?
Il doit bien y en avoir, mais ils doivent être très rares. Pourquoi faites-vous une règle d’un phénomène exceptionnel ? (Dissonance cognitive ?)
Quant aux “calculateurs avides d’argent et de pouvoir” qui exploiteraient ces génies anonymes, c’est une affirmation gratuite basée sur une vision simpliste et manichéenne.


Gene : “Ceux-ci ne créent pas de façon originale mais ont des idées. Les idées sont un sous produit des créations originales, ce sont en fait les développements. Ensuite ceux qui ne créent pas et qui n’ont pas d’idées sont les interprètes des idées c.à.d. les exécuteurs, les travailleurs. On constate donc que tout est régi par la création. Il est intéressant de constater que le créateur (je précise encore le vrai, celui qui ne calcule pas) est par définition idéaliste et n’éprouve pas le besoin de s’enrichir. Ils font avancer le monde, le monde se développe, les gens vivent et travaillent.”

Gaël : C’est faux. Beaucoup de grands artistes étaient, sur le plan philosophique, totalement matérialistes - notamment la plupart des cubistes, des dadaïstes, des surréalistes et des pop-artists.
Et plusieurs aimaient beaucoup s’enrichir, par exemple Andy Warhol qui dit : «C’était l’une de ces soirées où je demandais à dix ou quinze personnes de me donner des idées, jusqu’au moment où une amie m’a posé la bonne question : “Qu’est-ce que tu préfères ?” C’est ainsi que je me suis mis à peindre de l’argent.»


Gene : “Je pense donc qu’on ne peut pas affirmer que la création est jamais originale. Si l’on suppose que c’est le cas il faudra bien en remontant l’arbre généalogique des créations que l’on arrive tôt ou tard à la création première. Alors la question sera : l’univers a-t-il été réfléchi ou non ? Il est évidemment impossible de concevoir que la création de l’univers puisse être réfléchie.”

Gaël : C’est vous qui l’affirmez. Moi ce qui me semble absurde, c’est que l’on puisse réfléchir sur la création de l’univers. De toute façon, qu’elle soit spontanée, réfléchie ou qu’elle n’ait jamais eu lieu, ça ne change rien à notre débat sur les créations humaines, car ça n’a aucun rapport.
Quant à remonter l’arbre généalogique des créations, si on se cantonne aux créations humaines, on peut très bien le faire sans rencontrer de problèmes. La nature fut la première inspiration, puis la volonté de représentation de la nature a été assemblée avec d’autres idées, d’autres influences - symbolisme religieux, science (invention de la perspective), évolution du matériel offrant de nouvelle possibilités techniques, etc... On peut très bien remonter jusqu’où l’on veut, en ne rencontrant que des assemblages.


Gene : “En extrapolant la triade création, développement et interprétation, on peut supposer que l’univers est la création d’une force qu’on appelle Dieu, la nature est le développement de cette création, et il manque l’interprète de tout ça que nous pouvons supposer être l’âme.”

Gaël : Oui, on peut supposer ça. On peut aussi supposer que le père noël existe vraiment. Vous avez le droit de supposer tout ce que vous voulez, et vous ne manquez pas de le faire. Ce qui manque par contre, ce sont les arguments et les preuves.


Gene : “On en arrive donc à la même constatation que la musique: sans l’interprète la création n’a aucun sens (elle n’aurait aucun sens pour un éventuel Dieu créatif je précise à l’att. de J.F.). Pour répondre à J.F. qui m’a dit que les choses n’ont pas besoin de sens pour exister je peux dire que je suis d’accord, mais les choses seulement, pas notre conscience ou l’âme.”

Gaël : Pas d’accord. Moi je ne vois de sens nulle part, ni dans la nature ni dans la société ni dans ma vie, mais je vis très bien sans.


Gene : “Il est clair que la réflexion ne se détache pas toujours de la création. Toute la difficulté est là : où commence la réflexion et où commence la création. Je pense qu’on peut parler de qualité créatrice. D’où la génialité de certaines œuvres par rapport à d’autres.”

Gaël : La manière dont le lien s’effectue entre l’inspiration et la réflexion est assez mystérieux. Ce que j’ai lu de meilleur qui stigmatise la complexité de ces rapports est “le docteur Faustus”, de Thomas Mann, inspiré par les théories musicales de Shönberg. On y voit un artiste essayant de concilier ses inspirations mystiques bourrées de références ésotériques, avec une réflexion intense sur des théories complexes qui forment l’armature même de sa musique. Mais là aussi, il s’agit d’un assemblage.


Gene : “On peut par exemple considérer que le musicien qui arrange une œuvre pour un orchestre crée également, cependant il crée avec un élément déjà créé. Gaël doit savoir en tant qu’artiste que l’arrangeur est calculateur, contrairement à celui qui a créé l’idée originale. Comme je l’ai dit plus haut ce calculateur a des « idées » et il exploite la création originale”

Gaël : Je ne comprend pas grand chose à la musique, donc je n’ai pas vraiment d’idées sur le rôle de l’arrangeur. Par contre dans les beaux-arts, il peut être considéré comme un créateur à part entière. Certaines oeuvres d’art importantes consistent uniquement en des variations à partir d’oeuvres d’autres artistes. Par exemple les tableaux de Magritte “perspective 1 : Madame Récamier de David” et “perspective 2 : le balcon de Manet”, ou encore l’oeuvre de Rauschenberg “Erased de Kooning Drawing”, qui comme son titre l’indique est une oeuvre de de Kooning (l’un des plus grands artistes des années 50) que Rauschenberg a effacé. Un magnifique arrangement !


Gene. “Cette catégorisation culturelle démontre en fait que l’être humain possède des qualités créatrices évolutives allant du néant jusqu’au maximum. Chose que les animaux n’ont pas. Chaque espèce d’animal a sa créativité propre et instinctive.”

Gaël : C’est possible, mais je ne vois pas en quoi ça soutient vos idées. Au contraire, si les humains ont une meilleure créativité, c’est peut-être simplement parce que, contrairement aux animaux, ils sont capables de réfléchir


Gene : “Tout ça pour démontrer quoi ? Et bien que certains êtres humains créent et que cette créativité ne vient pas de la réflexion. Je pense que c’est la créativité originale qui engendre la réflexion et pas le contraire.”

Gaël : Le contraire me paraît plus logique, et je crois avoir largement réduit à néant chacun des arguments que vous avez exposé.


Gene : “Si cette créativité ne nécessite aucune réflexion, pourquoi les animaux ne l’ont-ils pas aussi ? Leur créativité est instinctive et constante, elle n’évolue pas.”

Gaël : La créativité des animaux est extrêmement faible, voire inexistante pour beaucoup d’entre eux. Et c’est chez ceux qui s’approche le plus de la réflexion (les grands singes, dont les capacités intellectuelles des plus performants d‘entre eux sont souvent évalués comme équivalentes à celles d’un enfant de 3 à 4 ans) que l’on constate la plus grande créativité. J’en conclus donc que c’est probablement en grande partie de la réflexion que dépend la créativité.


Gene : “Je pense que les premiers hommes n’avaient pas plus d’intelligence et de grandeur de cerveau que certains singes, cependant ils ont évolués dans la créativité et pas les singes (là c’est vous qui pouvez m’éclairer).”

Gaël : Les hasards de l’évolution. Par hasard, nos ancêtre ont dû se retrouver dans un milieu où la créativité était plus importante que pour les ancêtres des singes. La théorie habituelle est que quand nos ancêtres se sont mis à marcher debout, leurs mains se sont libérées et ils ont alors eu la possibilité d’utiliser des outils. Cela s’étant révélé très efficace, ils ont évolué vers plus d’intelligence car cela permettait de créer de meilleurs outils, et c’était un avantage qui fut favorisé par la sélection naturelle.


Gene : “Cette démonstration (que je vais essayer d’améliorer avec vos remarques et objections) est donc un premier pas en direction de l’existence de la supposée âme.”

Gaël : Je recule de deux pas en direction de son inexistence.

Gene : “Si vous êtes exclusivement calculateur il est en fait impossible que vous puissiez penser de la même manière que moi.”

Gaël : Je ne suis pas exclusivement calculateur (même si j’ai longtemps peint des abstractions purement géométriques), et je comprend ce que vous dites. Mais je pense que vous vous faites des illusions.

Désolé pour la longueur de ce message. J’ai voulu répondre précisément point par point à chacune de vos affirmations, afin de ne pas risquer de laisser passer un argument que vous auriez considéré comme important. J’espère ne pas abuser de votre temps.

G.


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