J’ai fait de longues recherches. Le bouquin de Dougherty est épuisé depuis longtemps, impossible de mettre la main dessus. Mais j’ai pu consulter la plupart de ses sources, les traductions des diverses tablettes perses et babyloniennes concernant le règne de Nabonide. Aucune ne fait mention de la moindre reine Nitocris.
Par contre dans la Skeptical Review, une revue très sérieuse destinée aux débats entre biblistes (pas tous sceptiques...) à propos de diverses questions d’exégèse, je trouve l’affirmation suivante : “Herodotus also thought Nabonidus was the son of Nebuchadrezzar. In Book 1:188, Herodotus calls the last king of Babylon Labynetus, and says he was the son of a Queen Nitocris (not known from any records).” Cela confirme l’mpression que mes recherches m’avaient déjà donné : pour Nitocris, Hérodote étant la seule source, Dougherty ne doit sans doute pas se baser sur les tablettes babyloniennes d’époque, mais sur une interprétation tordues et très personnelles des propos d’Hérodote.
Òutre le fait qu’Hérodote n’a jamais dit que cette hypothétique reine Nitocris était la fille de Nebukadnezzar, Hérodote est né plus de 50 ans après la prise de Babylone, je doute que ses informations soient plus fiables que celles des tablettes contemporaines. D’ailleurs Hérodote commet plusieurs erreurs sur cette période, comme le dit W. Sierich dans la Skeptical Review : “Historians say that Herodotus’s chronology elsewhere would make Nabonidus the son of Nebuchadrezzar, also referred to in Book 1:74 as King Labynetus. Herodotus gathered his material on a brief visit to the city before 425 B.C.E. Herodotus’ story has other problems, and appears to be based on a distorted oral version of the real events of Babylon’s fall.”
Emmanuel : “Belshatsar serait dans ce cas le petit-fils de Neboukadnetsar. Mais, ni l’hébreu, ni l’araméen ne possèdent les mots « grand-père » et « petit-fils ». Fils de peut signifier « petit-fils de », et même « descendant de ». Les exemples de Matthieu 1:1 et Genèse 28:13 vont dans ce sens : « Le livre de l’histoire de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham : » ; « Je suis Jéhovah le Dieu d’Abraham ton père … » en s’adressant à Jacob qui est le petit-fils d’Abraham.”
Même si vous arriviez à prouver que Belshazzar était réellement le petit-fils de Nebukadnezzar, cela ne vous sauverait pas.
Je vais encore vous citer un autre intervenant de la skeptical Review, qui répondait à ce même argument ainsi : “Hebrew and Aramaic didn’t have a word for grandfather. This is common knowledge to anyone who has engaged in serious biblical research. It is also common knowledge that when the Hebrew words for “father” and “son” were being used to denote other than their primary meanings, the context made their secondary meanings obvious. The context of Daniel 5 gives no indication at all that the words for “father” and “son” were being used to denote anything but their primary meanings.”
Les exemples que vous me donnez, sur l’usage de “père” ou “fils” à d’autres endroits de la bible, confirment ce jugement : le sens des mots y est clair, car il est bien connu que ni David ni Jésus ne sont des fils d’Abraham.
Par contre dans Daniel, tout porte à la confusion : Le récit est structuré de telle manière que l’on a l’impression que le règne de Nebukadnezzar est directement suivi de celui de Belshazzar, alors qu'en réalité 4 rois (Amel-Marduk, Neriglissar, Labashi-Marduk and Nabonide) et 16 années les séparent.
Il n’est fait aucune mention de ces rois : Daniel semble réellement penser que Belshazzar est le fils de Nébukadnezzar. Relisez Daniel 5:1-23 : dans le cadre d’un festin, le rédacteur dans ce passage se réfère 5 fois à Nebukadnezzar comme le père de Belshazzar. La première référence est faite par le narrateur lui-même, deux références sont attribuées à la reine, l’une à Belshazzar lui-même, et la dernière à Daniel quand il s’adresse au roi. Et enfin, Daniel se réfère aussi une fois à Belshazzar comme le fils de Nébukadnezzar.
Que parfois on puisse donner à Belshazzar le titre de “fils de Nebukadnezzar”, dans un cadre officiel, d’accord. Mais que la mère de Belshazzar, et Belshazzar lui-même, dans le cadre moins strict d’un festin, l’appellent “fils de Nebukadnezzar”, sans jamais dire le moindre mot de Nabonide, c’est simplement absurde. Tout ce passage montre bien qu’il faut prendre ce rapport de parenté au sens litteral.
Ensuite, un autre élément rend très probable que le rédacteur fasse une confusion entre Nabonide et Nebukadnezzar : non seulement le rédacteur fait suivre directement le reigne de Nebukadnezzar par celui de Belshazzar, mais en plus il attribue à Nébukadnezzar, sur la fin de son reigne, des troubles mentaux dont les sources babyloniennes ne disent rien, alors que l’on sait par contre que Nabonide, lui, était devenu fou, ou considéré comme tel (voir la traduction des tablettes).
D’ailleurs, d’autres documents écrits au second siècle, comme le livre (apocryphe) de Baruch, montrent que l’idée d’un Belshazzar fils de Nebukadnezzar à l’époque une croyance partagée par d’autres juifs (Baruch 1:10-12).
Emmanuel : “Pourquoi Belshatsar est appelé roi par Daniel [...] Alan Millard a écrit : “ À en croire des sources babyloniennes et des textes nouveaux figurant sur cette statue, on trouvait sans doute tout à fait correct dans des récits non officiels comme le livre de Daniel d’appeler Belshatsar ‘ roi ’. Il agissait en roi, en agent de son père, même s’il n’était peut-être pas légalement roi. La distinction précise aurait été hors de propos et n’aurait fait qu’embrouiller l’histoire telle qu’elle est racontée dans Daniel. ”
Je vous accorde ce point. Je ne vois plus d’inconvénient à ce que Daniel appelle Belshazzar “roi” alors qu’il ne l’est pas.
Par contre je vois un très gros inconvénient à ce que le rédacteur de Daniel croie réellement que Belshazzar est roi : par deux fois il commence ses chapitres (Daniel 7:1; Daniel 8:1) en datant les évènements à partir de la première, puis troisième année du reigne de Belshazzar. Cette méthode de datation, typique des monarchies antiques, se réfère toujours à l’année du roi en place. D’ailleurs les tablettes babylonienne de l’époque de Nabonide datent tous les évènements à Babylone à partir des années de regne de Nabonide, jamais à partir de celles de Belshazzar, même dans les dernières années, alors que Nabonide n’était pas revenu à Babylone depuis 10 ans. Il est donc absurde d’imaginer que le rédacteur de Daniel ait utilisé le “règne” de Belshazzar comme base de son calendrier, s’il ne croyait pas que Belshazzar était vraiment roi.
Emmanuel : “Les arguments sont tirés des livres suivants : « La prophétie de Daniel », 1999 et « Etude perspicace des Ecritures », vol. II, 1997 tous deux publiés par la Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania.”
Je ne fais aucune confiance à la Watch Tower, qui est loin de faire autorité dans le monde de l’éxègèse... Par exemple, voilà l’adresse d’une page qui démolit certaines affirmations trouvées à propos du livre de Daniel dans les pages des publications de la Watch Tower :
http://www.geocities.com/osarsif/gentile2.htm
Vous y trouverez notamment un argument imparable pour la datation du regne d’Artaxerxes en 465-445 : une tablette d’époque recense de nombreuses eclipses de lunes et les date toutes de l’année du roi en place. On peut y voir la succession des rois et établir à partir de là une chronologie incontestable.
A part ça, je tire la plupart de mes arguments de ces 2 sources :
- Traductions des tablettes babyloniennes et perses sur le reigne de Nabonide et la prise de Babylone :
http://home.wxs.nl/~lende045/Cyrus/Cyrus.html
- Skeptical Review (notamment les sessions de l’année 98) :
http://www.infidels.org/library/magazines/tsr/
Gaël.
|