Dans les écrits où il a clarifié sa pensée sur la question de Dieu, Einstein se disait agnostique.
En 1945, Einstein reçut une lettre de Guy H. Raner, un officier de la marine américaine, qui lui disait avoir eu une discussion avec un prêtre Jésuite, discussion au cours de laquelle le prêtre lui avait affirmé qu'Einstein, bien qu'au départ athée, s'était rendu à ses arguments et qu'il avait fini par admettre l'existence d'une intelligence suprême gouvernant le monde. L'argument du prêtre était qu'Einstein avait dû reconnaître que toute réalisation nécessite un ingénieur (a design demands a designer). Le contre-argument de Raner avec lequel Einstein se dit en total accord dans sa réponse, c'est que cette explication est non satisfaisante car il faudrait alors trouver l'ingénieur qui a réalisé l'ingénieur (you are back were you started, écrit Raner, by being forced to admit a designer of the designer etc., etc.). Le second point sensé avoir convaincu Einstein était que s'il y avait des lois de la nature, alors il devait y avoir un légiste qui avait fait ces lois. Raner opposait le contre-argument selon lequel une loi de la nature, c'est le constat de faits naturels et non une loi au sens humain du terme. Einstein se dit aussi d'accord avec ce contre-argument.
"I received your letter of June 10th. I have never talked to a Jesuit priest in my life and I am astonished by the audacy to tell such lies about me.
From the viewpoint of a Jesuit priest I am, of course, and have always been an atheist. Your conter-arguments seem to me very correct and could hardly be better formulated. It is always misleading to use anthropomorphical concepts in dealing with things outside the human sphere - childish analogies. We have to admire in humility the beautiful harmony of the structure of this world - as far we can grasp it. And that is all."
Lettre à Guy H. Raner, 2 juillet 1945
En réponse à la lettre de Raner datée du 10 juin 1945
Raner, G.H. & Lerner L.S.,"Einstein's Beliefes", Nature 358 :102
En réponse au Rabbi Herbert Goldstein de New-York qui lui câblait la question " Do you believe in God? "Einstein répondit : "I believe in Spinoza's God who reveals himself in the orderly harmony of what exists, not in a God who concerns himself with fates and actions of human beings" .
Ce Dieu de Spinoza dont parle Einstein, ce n'est pas du tout un Dieu personnel du type de celui proposé par la plupart des religions. On pourrait traduire ce concept par "l'harmonie de l'univers telle qu'elle se manifeste en toute chose". Einstein croyait en un univers ordonné, harmonieux et compréhensible (ce qui exclut forcément les explications surnaturelles), bref en un univers qui peut être compris par la raison humaine. C'est là en fait là le credo de base de tout scientifique. Einstein était émerveillé par l'harmonie de l'univers, par la beauté des lois qui en régissent le fonctionnement. C'est ce qu'il appelait la religion cosmique. Mais cette religion ne faisait pas du tout appel à un Dieu anthropomorphique ou à une intelligence suprême. Pour Einstein, le sentiment religieux, la spiritualité, c'est l'exaltation, l'émerveillement ressenti face à la grandeur, à l'harmonie et à la beauté de l'univers. Et pour lui, le meilleur chemin pour accéder aux connaissances permettant cet émerveillement, c'est la science.
Dans sa biographie d'Einstein parue en 1971 (Einstein, The Life and Time), Ronald W. Clarck écrit :
"However, Einstein's God was not the God of most men. When he wrote of religion, as he often did in middle and later life, he tended to…clothe with different names what to many ordinary mortals -and to most Jews- looked like a variant of simple agnosticism… This was belief enought. It grew early and rooted deep. Only later was it dignified by the title of cosmic religion, a phrase wich gave plausible respectability to the views of a man who did not believe in a life after death and who felt that if virtue paid off in the earthly one, then this was the result of cause and effect rather than celestial reward. Einstein's God thus stood for and orderly system obeying rules wich could be discovered by those who had the courage, the imagination, and the persistence to go on searching for them."
Lorsqu'il écrit que : "All religions, arts and sciences are branches of the same tree." Einstein ne cautionne ni n'endosse aucune religion. Il veut simplement dire que toutes ces activités ont le même moteur, le désir de l'homme de comprendre l'univers, de lui donner un sens.
"L'homme essaie de se faire, de la façon qui lui convient le mieux, une image simplifiée et intelligible du monde : il essaie donc, dans une certaine mesure, de remplacer par un cosmos à lui le monde de l'expérience, et de surmonter ainsi celui-ci. C'est ce que font, chacun à sa manière, le peintre, le poète, le philosophe dans ses spéculations, et le savant. Chacun fait de la construction d'un tel univers l'axe de sa vie émotionnelle, et cherche à trouver par là la paix et la sécurité qu'il ne peut rencontrer dans le domaine par trop étroit et remuant de l'expérience personnelle…"
Albert Einstein, Allocution lors de la cérémonie du 60e anniversaire de Max Plank, 1918
Einstein accordait effectivement une grande importance à l'intuition et à l'imagination en science, mais en précisant bien que ce n'était là qu'une première étape essentielle menant vers de nouvelles idées qui doivent par la suite être vérifiées. Einstein croyait fermement que puisque l'univers est ordonné et compréhensible, si une idée est juste, elle doit pouvoir être vérifiée. Mais il s'opposait fermement aux affirmations gratuites et dogmatiques.
Pour finir, encore une petite citation, juste pour faire plaisir aux sceptiques :-)
"Thus I came (despite the fact I was the son of entirely irreligious (Jewish) parents) to a deep religiosity, wich, however, found an abrupt ending at the age of 12. Through the reading of popular scientific books I soon reached the conviction that much in the stories of the Bible could not be true. The consequence was a positively fanatic (orgy of) freethinking coupled with the impression that youth is intentionally being deceived…Suspicion against every kind of authority grew out of this experience, a skeptical attitude…wich has never left me…"
Albert Einstein, Autobiographical Notes, pp. 3-5, 1949
Gilles Bourbonnais
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