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Génétique et probabilités


R: Génome et probabilité ; la suite (pour Platecarpus) -- Julien
Posté par Platecarpus , Jan 27,2003,17:59 Index  Forum

Les gènes des organismes d’une même espèce ne tournent pas autour de la même séquence commune. Vous généralisez par le terme « les gènes des êtres vivants » afin d’éviter ce que la biologie révèle vraiment.

Comment ça, je généralise ? J'ai parlé explicitement des gènes d'un même organisme quand j'ai évoqué les familles de gènes. De nombreux gènes ayant de longues séquences communes accomplissent des fonctions bien différentes. Les exemples de Jean-François s'appliquaient également aux organismes pris individuellement.

Par ailleurs, je ne vois pas en quoi le fait de prendre des gènes très proches (voire quasi-identiques) codant pour des fonctions distinctes chez des espèces différentes ne serait pas opérationnel. C'est même un argument très fort en faveur de l'évolution (encore plus que celui des gènes identiques codant pour des fonctions identiques, dont certains se sont révélés varier beaucoup moins qu'on ne le croyait dans l'ensemble du vivant).

Évidemment, la « machinerie » biochimique du poisson diffère de celle de l’être humain. La séquence précise pouvant accomplir la fonction du transport de l’oxygène chez différent organisme ne pourrait pas être parfaitement identique. Cet exemple est complètement hors contexte. Le contexte de mon calcul est celui où une séquence « utile » dans le génome d’une espèce SPÉCIFIQUE subit des mutations aléatoire et devient une autre séquence codant pour une fonction nouvelle.

Oui, et alors ? L'exemple de l'hémoglobine n'est pas du tout hors contexte, au contraire. Jean-François la citait comme exemple de molécule pouvant subir des variations d'une partie non-négligeable de ses acides aminés sans perdre sa fonction originelle (c'est le cas chez les vertébrés). Je ne faisais que resituer ce contexte pour en venir à une autre particularité de la molécule : si on quitte le cadre des vertébrés, on constate que cette même molécule, à quelques substitutions près, accomplit une diversité de fonctions étonnante dans le monde vivant.

J'ai déjà parlé de l'expérience où on a laissé muter de l'hémoglobine de mammifère en la soumettant à une pression sélective pour voir si elle pourrait acquérir la capacité de métaboliser l'hydrogène sulfuré (une fonction bien différente de celle du transport du dioxygène). On s'en doutait déjà un peu, mais l'expérience a parfaitement réussi. Et elle n'est pas la seule en son genre : l'exemple de l'hémoglobine est simple et frappant, mais il est représentatif d'un groupe beaucoup plus vastes de molécules qui : - soit accomplissent une variété étonnante de fonctions dans le monde vivant (ou au sein d'un même organisme) tout en tournant autour de la même séquence - soit ont déjà été changé de fonction spontanément, suite à des mutations spontanées soumises à la sélection naturelle ou artificielle en laboratoire ou dans la nature

L'hémoglobine est un cas intéressant parce qu'elle cumule ces deux particularités. Mais le fait de présenter l'une ou l'autre est très banal. L'exemple n'est donc pas inopérant pour le problème des changements de fonction consécutifs à des mutations, bien au contraire : il en est l'illustration parfaite.

Vous recommencez par la suite une énumération de points. Je vais la commenter à nouveau, bien que mes réponses soient assez prévisibles en raison de ce que j'ai déjà écrit à ce sujet.

1) Le nombre de séquences possibles pour un gène est infini

Je suis d'accord.

2) Le nombre de séquences « utiles » (incluant les variantes) pour une espèce spécifique est limitée

Je suis d'accord.

3) Les séquences effectivement « utiles » sont uniformément distribuées dans l’infinité des possibilités de séquence. Ces séquences ne tournent pas autour de la même séquence spécifique.

Je suis d'accord, à condition de préciser : « Il est possible de relier toutes ces séquences par des séries de séquences intermédiaires elles aussi utiles. S'il existe des séquences théoriquement utiles n'étant reliés à aucune séquence préexistante dans l'océan des possibilités, alors ces séquences n'apparaîtront jamais et n'existent chez aucun organisme vivant. »

4) Conclusion : pour passer d’une séquence « utile » à une autre, il faut passer par une multitude de stade/séquence non fonctionnels, voire néfastes

Ce n'est pas le cas à cause de mon ajout au point 3). Remarquez qu'il s'agit bien d'un ajout, et pas d'une contradiction.

Je pense que c’est le 3) qui vous pose problème. Vous croyez que c’est de l’« imaginaire ». Pour ce qui est de l’imaginaire, je ne pense pas pouvoir vous battre avec votre affirmation gagnante « il y a des tonnes de transitions procaryotes/eucaryotes ».

On dirait que ces transitions vous obsèdent. Je maintiens cette affirmation. A partir du moment où l'on définit : 1) une transition comme étant une espèce de procaryote possédant un ou plusieurs caractères d'eucaryotes ou une espèce d'eucaryote ne possédant pas un des caractères additionnels typiques des eucaryotes (exemple classique : Golgi) 2) "des tonnes" comme une expression subjective signifiant "une très grande quantité", autre expression subjective que l'on pourrait faire correspondre à "des milliers de représentants de la catégorie dont on parle"

alors mon affirmation est vraie. Il y a en particulier un nombre considérable d'eucaryotes dépourvus de mitochondries (dans les 2000 espèces, si je me souviens bien). Les "tonnes de transition" ne sont donc pas imaginaires. Ceci dit, je vous accorde que "tonnes" est une expression subjective. Ce qui est beaucoup pour vous ne l'est pas forcément pour moi. Autrement dit, nous pouvons être en désaccord sur cette phrase sans pour autant être en désaccord sur les faits. Je ne vois donc vraiment pas l'intérêt de poursuivre sur ce point.

Ensuite, notez que chez les bactéries les plus simples qui existent (600 à 700 gènes) les gènes présents sont des séquences de 300 à 4000 bases. Si vous prenez disons les gènes de 300 à 400 bases, ce qui donne des protéines de 100 à 130 acides aminées, il n’existe pas de similitude entre les différentes protéines codées tant au niveau de la séquence qu’au niveau de la fréquence des acides aminées d’une protéine à l’autre.

Ca dépend lesquelles. Certaines sont très semblables entre elles, au contraire. J'ai déjà cité de nombreux exemples de familles de gènes connues. D'autres le seront moins.

Placez vous dans le contexte imaginaire où un organisme vivant avec qq gènes existait il y a des 3 milliards d’années. Pour aboutir aux procaryotes complexes que l’on connaît aujourd’hui (qui sont tout de même les moins complexes organismes vivants), des gènes ont dû se dédoubler et muter (me direz-vous). Les gènes que l’on connaît chez un type de bactérie **spécifique** ont donc « dérivé » les uns des autres, par un faible nombre de bases à chaque fois. Or, les gènes de ce génome spécifique devrait montrer un haut degré de similitude. Ce que l’on observe est que les gènes sont extrêmement diversifiés tant dans la longueur des séquences que dans la fréquence des acides aminées codées POUR UNE MÊME ESPÈCE.

Non, pas du tout. Vous pensez qu'en trois milliards d'années d'accumulation de mutations, tous les gènes et toutes les protéines devraient garder des séquences "très proches" ? Je ne sais pas où vous en êtes. Si je considère qu'il se produit une substitution tous les millions d'années pour un gène G donné (ce qui est un taux incroyablement bas pour une bactérie), alors il "suffirait" d'un milliard d'années pour que les différentes copies identiques de G n'aient théoriquement plus un nucléotide en commun. Le seul moyen à votre disposition pour nier cette prédiction simple serait d'affirmer qu'il existe une "limite supérieure" à la quantité de variations qu'un gène peut subir. Autrement dit, arrivé à un certain nombre de mutations positives, plus aucune mutation ne devrait pouvoir se produire sans être rejetée. Aucun fait ne vient évidemment soutenir cette supposition : l'accumulation de mutations est un fait constaté, et les séquences "stables" sont d'une extrême rareté. Pour l'instant, rien ne laisse supposer que l'évolution d'un gène doive s'arrêter après un certain nombre de mutations.

Ce que vous croyez alors c’est qu’un gène X a subit une multitude de mutations aboutissant à une séquence Y dont 70% (disons) de la séquence a été « remplacé » et qu’à tous les stades de mutation, la séquence était « utile » et ce, même si la probabilité est, à chaque stade, de 10E20 / 10E600 (pour un gène de 1000 bases).

Ah non. La probabilité n'a jamais été de 10E20/10E600. La sélection naturelle étant ce qu'elle est, et toutes les fonctions successives étant proches les unes des autres (comme dans toutes les séquences évolutives, les deux extrémités de la chaîne sont très différentes, mais les maillons situés entre eux montrent une gradation continue. C'est ce qu'on observe quand on fait des expériences en laboratoire et quand on observe l'évolution moléculaire dans la nature), la probabilité est à chaque stade bien plus élevée. Un ordre de grandeur acceptable est un sur quelque milliers.

Il n’y a absolument pas lieu de croire que les différents gènes dérivent les uns des autres. Vous pouvez vous inventer des histoires mais ça ne fera pas le poids contre le FAIT de la complexité irréductible du génome de l’organisme le moins complexe qui soit* (d’ailleurs, ces organismes bactériens sont parasites; le degré de complexité minimum pour être dépendant est largement supérieur).

Votre affirmation que cette complexité est irréductible ne fait pas le poids contre le fait des expériences de Craig Venter, qui a montré très clairement qu'on pouvait détruire la majeure partie du génome de la bactérie indépendante la plus simple sans la tuer (ni l'empêcher de se reproduire). On aboutit ainsi à une bactérie beaucoup plus simple, mais, curieusement, quand on "rase" d'un coup beaucoup de fonctions complexes imbriquées entre elles, la bactérie n'a pas l'air d'en souffrir beaucoup. Evidemment, la vie étant ce qu'elle est, l'organisme ultra-simple ainsi obtenu se remettra très vite à évoluer.

J'aimerais d'ailleurs bien savoir sur quoi vous vous basez pour affirmer que cette complexité est irréductible. Sur le fait que c'est la plus petite connue ? Cela ne suffirait pas. Prouver que c'est le plus petit génome réel ne suffirait certainement pas à convaincre qui que ce soit que c'est aussi le plus petit génome possible (en fait, ce serait même un concours de circonstances d'une improbabilité astronomique). Sur vos "étapes 1 à 4" ? C'est toujours insatisfaisant. Vous pensez que les gènes de cette bactérie ultra-simple ne peuvent pas être reliés entre eux par une série de formes intermédiaires. C'est une supposition purement gratuite, qu'aucune donnée n'appuie et qu'un volume considérable de données contredisent. Il faudrait pour la confirmer cartographier l'espace de toutes les protéines possibles et tester la viabilité de chaque forme intermédiaire une par une. Tant que ce ne sera pas fait, votre affirmation que sa complexité est irréductible reposera... eh bien, sur rien du tout. Par ailleurs, vous n'ignorez pas que l'ARN, qui est infiniment plus simple (c'est un "gène nu" qui est à la fois génotype et phénotype) est capable d'assumer la fonction basique de tout être vivant (se répliquer en évoluant) alors qu'il est infiniment moins complexe que n'importe quelle bactérie. Il est même tellement simple qu'il y a de bonnes raisons de supposer qu'il peut apparaître sans intervention intelligente pour diriger l'opération (par compassion, je ne parlerai même pas de la possibilité d'une "intelligence surnaturelle", parce que là... je pense que le caractère hautement scientifique de la supposition se passe de commentaire).

Je me demande jusqu'où vous allez pouvoir courir avant de buter (à un endroit ou à un autre) sur la dureté du mur de la réalité. Ca peut être en réalisant que la sélection naturelle est un processus déterministe (donc que les probabilités ne s'appliquent pas), que votre idée de la complexité irréductible n'est pas démontrée et que les nombreux exemples d'évolution génétique observée en action (incluant bien sûr des changements de fonction) suffisent à réfuter vos sophismes. On verra bien.


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