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Re:Re:Re:Re:Eliade et l'horreur: deux livres: une accusation et la défense


Re: Re:Re:Re:Eliade et l'horreur: deux livres: une accusation et la défense -- Mondreiter
Postée par decroix rené , Jun 06,2000,04:47 Index  Forum

Merci pour cette longue et riche réponse que je me suis empressé d'imprimer. Je compte sur le "supplice", par intérêt égoïste (car vos interventions me sont utiles dans mon travail), ce qui pour être bassement matériel n'en est pas moins gage de sincérité ....


Sur la distinction entre l'auteur et l'oeuvre, en réalité je suis d'accord. Dans le cas d'Elaide, j'ai bien sûr eu déjà à m'expliquer sur ce point, et je vous ressors mon résumé : si demain on trouve une déclaration commune Hiltler-Staline affirmant que la Terre est ronde, je ne me sentirai pas obligé pour autant d'affirmer qu'elle est plate.

Pour ma part je choisis, dans la mesure du possible, de pratiquer les deux démarches, et en distinguant soigneusement deux phases : l'une qui tient les choses nettement séparées, l'une qui cherche comment elles se rejoignent.Cette deuxième phase vient de ce que la manière dont se construisent les choses m'intéressent finalement plus que les choses elle-mêmes. On pourrait dire que je suis du type mécanicien, l'explication m'attirant toujours hors de la contemplation,aussi fascinante soit cette dernière ( ou plutôt: en me "sauvant" d'autant plus vite qu'elle est fascinante ...).

Et dans le cas particulier de Mircea Eliade, cette attitude s'est renforcée par l'intention initiale : c'est le succés, donc un phénomène social, culturel, qui m'a posé question, plus que le personnage lui-même. Ensuite il se trouve, mais là c'est ma thèse,qu'il me semble être avec Mircea Elaide devant un cas où l'oeuvre et le personnage sont particulièrement liés, par construction, et ce, ajouterai-je maintenant, de manière revendiquée par l'auteur lui-même.

Pour les deux modalités temporelles archaïques, ce que vous désignez justement par temps linéaire doit à mon avis être essentiellement rattché à ceci : d'abord il est second, historiquement(déjà une chute), par rapport au temps sacré, l'homme originel n'étant que dans la sacralité : c'est son acte de naissance; ensuite, il n'est pas comparable au temps "historiciste", car c'est, essentiellement, un temps de l'usure, c'est l'usure est l'horloge de ce temps, et le retour au Grand Temps est une rénovation périodique, contre cette usure.C'est ce rituel qu'Eliade pose comme isomorphe aux conceptions cycliques étendues au cosmos, à partir de l'introduction de l'homme agriculteur.Mais ce qu'il y a de premier, c'est le retour périodique au Chaos, lieu de toutes les virtualités non condamnées aux formes constituées et prisonnières de cette constitution (dès qu'une forme est prise, l'usure est inéluctable...) : c'est ici que se greffera la mystique de l'orgie, application sociale du même principe.

Le rapport polythéisme/monothéisme est très justement soulevé dans votre message, mais plus fondamentalement, il faut le rattacher, à mon avis, dans l'esprit d'Eliade, au processus de rationalisation de la religion,dont il place une amorce dans la religion égyptienne, et plus généralement dans le culte solaire, par contraste avec le culte lunaire. Cette rationalisation égyptienne s'accompagne, dans son exposé, d'une démocratisation du salut : il illustre la chose avec l'évolution de la distribution de l'immortalité dans l'histoire de l'Egypte ( voir le Traité, livre dans lequel il est prudent, mais qui contient tous les éléments qui seront redits par la suite, bientôt plus librement, et que l'on trouve aussi à l'autre bout, dans la période roumaine).
Même si ces aspects ne vous intéressent pas trop : c'est le discours du néo-paganisme de la Nouvelle Droite dans les années 70/80 : Mircea Eliade était l'un des correspondnats de prestige de ce mouvement (Dumézil y passa, mais ne s'attarda pas je crois).
Mais si la rationalisation égyptienne est aussi démocratisation,par contre la rationalisation judaïque qui conduit au monothéisme sera assimilée à l'introduction d'un totalitarisme, comme vous le signalez.

Pour Mircea Eliade l'"historicisme", tel que vous employez ce terme, est un choix (l'homme archaïque "refuse" l'histoire, dit-il souvent), et vous reprenez la même atitude : mais cela suppose (en caricaturant) qu'ait exité un jour un homme assis en train de se dire: alors qu'est-ce que je fais?, historicisme ou pas ? Les choses, je crois, ne se sont pas passées de cette manière. Et du reste, historicisme dit en fait homme produit de l'histoire, il y a ici(mais souvent à mon avis), confusion des termes chez Eliade, qui utilise ce mot pour désigner l'homme décidant de faire son histoire, et de se faire par cette histoire, bref, le progressiste.

Pour l'anathème contre la Magie, je crois que c'est moins simple. C'est bien avant les monothéismes que l'on pourrait distinguer entre magie maléfique et magie bénéfique (magie noire et magie banche comme on dit). Seulement, il y a une magie technicienne pourrait-on dire, qui utilise des force et lois de la nature quasiment comme la science le fait, puis il y a une magie qui agit en s'adressant à des entités spirituelles. Cette dernière a pris le train du manichéisme ( le zoroastrime était présent avec la Perse au berceau du monothéisme juif ...), avec disons pour faire vite : recours aux démons ou bien recours aux anges. Si bien que l'anathème chrétien ne s'adresse pas vraiment à la Magie en tant que telle, le christianisme intègre des aspects magiques : il faut relever que le procès des sorcières atteste bien la croyance en leur pouvoir. Il ne faut pas confondre le processus culturel occidental général, qui reléguera la magie, avec un phénomène qui serait d'origine religieuse : en rélaité la religion a suivi ici un phénomène dont elle n'est pas la source. Ce qui est vrai, c'est que le judaïsme représente une démythologisation par rapport au contexte dont il va se distinguer,mais il ne faut pas oublier que bouddhisme, judaïsme, (confusianisme aussi), sont quasi-contemprains du fameux "miracle grec" (appellation controversée, je sais: et en particulier par les tenants de l'autre Grèce, la Grèce dyonisiaque ... comme Eliade). Personnellement, je suis de plus en plus méfiant aux explications historiques posant la religion trop rapidement comme source des phénomènes observés, craignant que l'on prenne souvent l'effet pour la cause.

Pour la pierre et la monture,très sincérement je ne ressens nul regret à ce que vous mainteniez votre position ,qui a de plus l'avantage de s'exprimer très clairement, et je ne trouve pas du tout votre attitude polémique au mauvais sens du terme : je dois dire que, au vu de mes quelques années d'expérience dans ce domaine, sur ce sujet c'est assez rare de trouver quelqu'un pensant autrement sans tomber dans le muavais procédé polémique.Mais voici ma suggestion : dans le cas d'Eliade, votre métaphore doit inverser ses termes: pour lui, la monture c'est l'oeuvre, et la pierre c'est lui-Même, c'est son Destin.
Dans ses écrits de jeunesse, avec bien du talent il multiplait les contraires, les attitudes opposées, pour précisément ne pouvoir être enfermé dans aucune d'elles par la critique, par les lecteurs, par son entourage, et aussi bien sûr dans une histoire particulière tant que Destin ne se profilerait pas au bout . Mircea Eliade se veut transcendant par rapport à ses productions.En fait je me dis pafois que j'ai adopté initialement l'attitude qu'il souhaitait (abstraction faite de mes intentions): le chercher lui à travers ses livres.

Cette réponse était improvisée, en ligne, et voilà que je n'ai pas le temps de relire, on m'appelle.
A bientôt.


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