Postée par Jean-Francois , Mar 19,2000,13:44 | Index | Forum |
Quelques perles sur la télépathie:
Ca commence comme ça:
"Traditionnellement, la télépathie est le langage muet des pensées, véhiculé par le transfert d'idées d'un esprit à l'autre. Il est fort possible qu'en des temps reculés, comme à la préhistoire, que ce mode de communication non verbale ait été employé. Car, en tant qu'êtres humains, notre mode d'expression est souvent bloqué par les mots et il nous est parfois très difficile de traduire avec exactitude nos émotions et nos sentiments avec des mots. Alors, l'idéal serait que la race humaine puisse un jour connaître un moyen de communication universel, basé sur les pensées à distance, tel que la télépathie."
Donc, la télépathie serait (au conditionel) un moyen de communication idéal même si on hésite un peu sur ce qu'est un moyen de communication "basé sur les pensées à distance". On se demandera aussi si l'écrit ne correspond pas à la définition "ancienne" donnée de la télépathie, et on buttera quand même un peu sur ce "langage muet des pensées", sans doute issu d'une license poétique de l'auteur. On remarque une affirmation gratuite sur son utilisation "à la préhistoire", reprise plus loin. Puis, tout de suite, ça se gâte:
"C'est d'ailleurs de cette façon que la télépathie a débuté à une époque très ancienne. En ce temps-là, la télépathie n'était pas considérée comme une étrangeté. Cela devait probablement être un moyen de communication spontané et naturel. Mais dans notre monde contemporain, nous avons toujours tendance à nous méfier de tous les phénomènes curieux qui nous dépassent, car tout ce qui est étrange et inexpliqué, nous fait peur."
Ca y est, la télépathie existe! En deux paragraphes, on a couvert quelques centaines de milliers d'années (au moins) sur lesquelles on ne peut rien connaître d'un phénomène aussi éthéré que la télépathie. On ne sait rien du tout sur ce qui permet d'affirmer qu'elle était employée "en ce temps-là" (quelle précision!) mais on n'hésite pas à dire que c'était un moyen de communication spontané et naturel. En fait, la "preuve" avancée pour soutenir que la télépathie a existé, c'est qu'elle n'existe plus aujourd'hui. C'est la seule raison d'être que je vois à la dernière phrase du paragraphe... en plus d'être une transition stylistique débile:
"Alors notre esprit éprouve des difficultés à s'ouvrir devant l'inconnu, tout simplement parce que nous n'arrivons pas à le comprendre. De nos jours la télépathie est définie comme étant une façon silencieuse de s'exprimer en livrant des messages d'un esprit à un autre, en utilisant des procédés plus subtils de communication que ceux que l'on connaît ordinairement."
Ne trouvez-vous pas magnifique la première phrase, que l'on peut résumée ainsi: "on ne comprend pas ce qu'on ne comprend pas"? Bien sûr, il est mieux de dire "ouvrir l'esprit" car même si ça ne veut pas dire grand chose, cela imprime une petite crainte d'être étroit d'esprit si l'on n'accepte pas l'inconnu. La deuxièmes phrase est pas mal non plus! Il est vrai que selon cette "nouvelle" (et très personnelle, quant à moi) définition, la télépathie existe, c'est certain: quand, au restaurant, vous faites signe au serveur d'apporter l'adition en mimant le geste d'écrire sur une feuille, vous faites de la télépathie; quand un agent de police arrête un automobiliste et lui tend l'alcootest, il fait de la télépathie. Ce sont des manières silencieuses et subtiles de livrer des messages d'esprit à esprit. A ce prix-là, n'importe quel mammifère est capable de faire de la télépathie.
Cette manière d'aborder les choses me fait menser à M. Gatti: on se base sur du légendaire pour essayer de former une théorie; on pense à des tests expérimentaux, bien sûr, mais ceux-ci doivent directement soutenir la théorie et non vérifier la légende.
Jusque là, je crois qu'il était nécesaire d'amener l'ensemble du texte. A partir de maintenant, ce sont des morceaux choisis (ça serait trop long, autrement, il y a tellement de bétise dans ce texte):
"Rhine était un botaniste et il testa l'ESP mais ses expériences furent considérées à tort, comme étant délirantes et farfelues par ses pairs"
Et voilà! C'est clair, quand un botaniste établit des tests concernant une faculté certainement pas "botanique", ces expériences ne peuvent être considérées comme farfelues (surtout par ces pairs: les botanistes). En fait, Rhine était surtout un émerveillé et un naif. Si ces qualités ont leur place en science, elles ne sont pas considérées comme nécessaires à la conception et à l'analyse des tests. Et pourtant, c'était le cas chez Rhine qui, même placé devant l'évidence, niait que l'on puisse essayer de frauder. Par exemple, il avait étudier un cheval supposément capable de lire un chiffre qu'un examinateur, placé à quelques pas devant lui, écrivait sur un papier et de répondre en tapant le nombre de coup correspondant à ce chiffre. Rhine avait bien remarqué que le cheval était incapable de réussir quand son dresseur n'était pas placé en arrière de l'examinateur. Sa conclusion fut que l'examinateur envoyait télépathiquement le chiffre au cheval, sans vouloir retenir l'hypothèse (très plausible, et apportée par ces collaborateurs) que si le cheval avait put être dressé à frapper du pied, il pouvait très bien être dressé à reconnaitre des mimiques ou autres signes que lui envoyait son maitre. En fait, toute la carrière parapsychologique de Rhine est parsemée de cet entêtement à ne considérer que cequ'il voulait voir.
"De nos jours, il est possible de prouver la véracité de la télépathie, en soulignant qu'elle n'est pas le fruit du hasard et qu'elle n'a aucun rapport avec les coïncidences ou la chance"
Ca, c'est vraiment la seule évidence en "faveur" de la réalité (pourquoi véracité?) de la télépathie: la manipulation mathématique. Généralement, on tente un certain nombre d'expériences d'échanges télépathiques: un "emetteur" se concentre sur une image (généralement issue d'un nombre limité de possibilités, connues de tous les participants à l'expérience) et le "récepteur" indique quelle image il a reçu. On note le nombre de "succès" (mis entre guillemets car l'interprétation de ces succès est parfois très très lâche, surtout quand les images envoyées sont complexes) pour chaque expérience, on moyenne les expériences puis on compare avec ce que donnerait le hasard seul. Cela n'avait donné que des résultats peu probants (très légèrement supérieurs au hasard ce qui rend les conclusions très sujettes à la qualité des expériences) jusqu'à ce qu'on trouve le moyen de retraiter mathématiquement les résultats en mélangeant les résultats de séries d'expériences différentes: les fameuses méta-analyses. Certaines auraient (c'est très discuté) donné des résultats très supérieurs au hasard. Seulement, ces divers traitements mathématiques sont très éloignés des expériences initiales et peuvent très bien avoir induits du sens où il n'y en avait pas. Et, le gros problème quand on travaille dans le non-mesurable c'est qu'on peut se référer à rien pour corroborer les résultats mathématiques. Bref, la recherche sur la télépathie c'est plein de problèmes: les expériences n'observent même pas la télépathie mais les réactions de deux personnes à qui on demande de faire de la télépathie; les mesures servent à avoir des résultats uniquement après traitements mathématiques; il n'existe aucun moyen de savoir ce à quoi les résultats réfèrent exactement. Pourtant, l'existence de la télépathie est vérifiée uniquement par ce moyen.
LD: "En mil neuf cent trente-huit, on observa des progrès fulgurants dans toutes les expériences télépathiques successives"
Affirmation gratuite ou référencée? Il suit une série d'anecdotes soulignant plus la niaiserie de l'auteur que pouvant servir de preuve en faveur de l'affirmation ci-haut. Le paragraphe finit sur la phrase:
"Lors d'une acti-vité cérébrale, un changement chimique s'opère dans le mouvement atomique"
Le suivant commence par:
"Celui-ci engendre des vibrations éthériques dans la substance nerveuse et qui sont actionnées par elle. Sans radiation, l'existence serait impossible. Car les matières vivantes ou inertes créent leurs propres énergies qui s'ins-crivent dans l'éther universel"
Outre le retour de l'astuce stylistique indigente, on remarquera que la progression vers le délire ésotérique se poursuit. Ici, on atteint un sommet de bétise et de science mal-digérée. Les affirmations gratuites et idiotes ne font que souligner le caractère éthéré des preuves de la réalité de la télépathie. Le texte (et la pensée du zozotérique qui l'a pondu) est construit sur le principe de l'ignorance: "moins on a de preuve plus il faut avoir d'explications, idéalement invérifiables". En tant que neurophysiologiste, je n'ai jamais entendu parler de "vibrations éthériques" engendrées et/ou actionnées (c'est dûr à savoir, le seul changement chimique d'importance que j'envisage lors d'une "activité cérébrale" est le potentiel d'action, et celui-ci à lieu dans les axones donc dans la substance nerveuse) par les neurones. Le retour de la license poétique ("éther universel") commence à m'énerver.
Comme ce texte est bourré de niaiseries, et que je commence à me fatigué de ce qui m'avait amusé (il a trop à dire si on veut tout critiqué et c'est déjà trop long comme ça), je termine sur ce qui m'apparaît être l'aveu du but recherché par tous les ésotériques:
"Pourtant, les phénomènes paranormaux s'expliqueraient facilement si nous admettions que des courants d'énergie pure, issus d'une autre dimension que la nôtre, puissent voyager à une vitesse supérieure que celle de la lumière"
En fait, pour les ésotériques le monde serait beaucoup plus beau s'il correspondait à leur vision des choses plutôt que de leur être inaccessible.
Jean-François
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