Ecoutez, Julien, si vous vous imaginez que la sélection naturelle est aléatoire, on ne peut plus rien pour vous.
Si vous le voulez bien, je vais prendre un exemple de sélection naturelle : le système immunitaire humain (je suis certain que vous le connaissez, mais ce n'est pas grave, faisons comme-ci). Lorsque celui-ci se trouve face à un microbe inconnu, que fait-il ? Les lymphocytes B fabriquent au hasard - complètement au hasard - toutes sortes d'anticorps par mutations de certains gènes. Par hasard, certains anticorps se révèlent être efficaces pour lutter contre le microbe : par sélection naturelle, seuls les lymphocytes qui fabriquent les anticorps en question se reproduisent.
Le processus se fait sans aucune intelligence. Aucune information préexistante n'est là pour "dire" aux lymphocytes quel genre de molécule ils devraient fabriquer pour lutter contre l'agent pathogène (évidemment, je ne soutiens pas qu'un lymphocyte ne contient aucune information ; je rappelle seulement qu'il ne contient aucune information utile pour lutter contre un agent pathogène s'il ne l'a jamais rencontré).
Si je vous suis, vos calculs de probabilité sont pertinents pour parler des cas de sélection naturelle. Or, le fonctionnement du système immunitaire en est un. Les anticorps sont des protéines contenant au minimum 1400 acides aminés. La chance d'obtenir un anticorps fonctionnel serait donc, sachant qu'il existe 22 acides aminés, de :
1/(22 puissance 1400)
soit 1 chance sur 10 puissance 1879 (1 suivi de 1879 zéros). C'est clairement supérieur au nombre d'atomes contenu dans tout l'univers. Autant dire que la chance d'obtenir un anticorps efficace est ridiculement faible. Félicitations, vous venez de prouver l'inexistence du système immunitaire.
Qu'est-ce qui cloche avec ce calcul ? Vous pouvez le refaire vingt fois, vérifier toutes les données, vous verrez qu'il est parfaitement exact d'un point de vue mathématique. La réponse est tout simplement que les probabilités ne sont pas un outil acceptable pour évaluer de la sélection naturelle. Il n'existe rien de moins approprié pour décrire le principe directeur, totalement non-aléatoire, qu'est la sélection, que les probabilités.
Les pressions sélectives sont aléatoires dans leur nature et dans le moment auquel elles arrivent.
Soit c'est un jeu de mots, soit c'est de l'ignorance pure et simple. En réalité, le problème n'est pas dans les "pressions sélectives" : le problème est dans le mécanisme sélectif, qui lui n'a rien d'aléatoire. Il est parfaitement prévisible : les mutations les plus avantageuses seront conservées. Lorsque les pressions sélectives se maintiennent (ce qui est généralement le cas - par exemple, les pressions sélectives en faveur d'un mécanisme de stockage d'énergie optimal sont permanentes sur toutes les cellules vivantes de la planète), des mutations encore un peu meilleures seront conservées. Et ainsi de suite. C'est visiblement en contradiction avec l'approche probabiliste que vous proposez : selon elle, non seulement les mutations généreraient d'un seul coup n'importe quelle séquence au hasard parmi toutes celles possibles (alors qu'elles ne font que modifier légèrement une séquence préexistante - qui n'est pas forcément optimale, voire carrément mauvaise), mais on ne pourrait pas prévoir laquelle serait conservée. Là, les probabilités s'appliqueraient : chaque mutation aurait une chance égale d'être sélectionnée, et il y aurait une chance infime pour que la séquence obtenue soit optimale. Le problème, c'est que ce n'est pas le cas du tout : on peut prévoir quelles séquences seront conservées. Ce seront les plus efficaces, tout simplement. Ainsi, avec le temps, les génomes s'améliorent - très, très lentement, mais sûrement. Ils deviennent de plus en plus perfectionnés, de plus en plus efficaces. Ainsi, nous devrions exactement nous attendre à avoir ce que nous avons sous nos yeux - des adaptations d'une déraisonnable complexité - si la biosphère avait été façonnée par la sélection naturelle.
Si vous le voulez, nous allons faire un petit calcul. Une espèce de moustique se trouve confrontée à un insecticide inconnu. Parmi tous les gènes qu'il contient, un seul est capable de lutter très légèrement contre cet insecticide - mais presque pas. Vous êtes d'accord, on est loin d'une adaptation optimale. En réalité, la séquence du gène théorique optimal (GTO) pour lutter contre l'insecticide comporte 1000 nucléotides ; celle du gène réel sous-optimal (GRS) comporte aussi 1000 nucléotides, mais n'en a pas un seul de commun avec le GTO. C'est au passage très invraisemblable : les moustiques sont d'une inadaptation regrettable. Maintenant, laissons-les se reproduire et muter. Disons qu'il apparaît un moustique mutant pour ce gène toutes les semaines (ce qui est un taux ridiculement bas, bien inférieur au taux naturel : les insectes se reproduisent à une vitesse effarante, mais nous ne le percevons pas, tout simplement parce que l'immense majorité de leurs rejetons périssent en bas âge). Chaque mutation ne modifie qu'un seul nucléotide, en le substituant. Il y a donc une chance sur quatre pour que le gène muté s'approche du GTO. Ainsi, une nouvelle version, plus perfectionnée, du gène permettant de lutter contre l'insecticide, apparaît en moyenne toutes les quatre semaines. Mais ce qui change tout, c'est que cette version très légèrement améliorée, sera de toute façon conservée par la sélection naturelle. Ainsi, tous les mois, il y a une amélioration très discrète de la résistance aux insecticides des insectes. La sélection naturelle garantit le caractère non-aléatoire du système. Je rappelle que je suis parti avec un taux de mutation très bas et avec une séquence invraisemblablement difficile à obtenir (pas une seule "lettre" de l'alphabet génétique en commun avec les gènes réels du moustique : celui-ci n'a donc a priori aucune chance d'obtenir ce nouveau gène en modifiant ceux qu'il a déjà). Ceci dit, en tenant compte de la sélection naturelle, on trouve que la GTO sera réalisé en :
1000*4 = 4000 semaines = 76 ans.
Ce qui est un délai très raisonnable (environ 46 000 000 fois plus faible que celui dont la vie a réellement disposé). En prenant des taux de départ ridiculement bas, j'ai tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de la sélection naturelle. Si elle était incapable de quoi que ce soit, on ne devrait donc pas s'attendre à trouver des résultats positifs. Or, même dans ce cas théorique (en pratique impossible), ce mécanisme d'une déraisonnable efficacité se révèle encore capable de fabriquer une nouvelle adaptation optimale à une vitesse record.
Il n'y a nul besoin de prévoyance, d'intelligence ou de plan pour expliquer l'apparition des adaptations complexes (ou l'augmentation d'information dans un génome). Le mécanisme aveugle de la sélection naturelle suffit : en conservant à chaque génération les organismes les mieux adaptés "ici et maintenant", elle permet à l'évolution de construire des organismes qui semblent, à première vue, avoir été conçus intelligemment. Mais c'est une illusion.
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