Dans le volume "L'ère logique" de Jacques Bureau, éd. Robert Laffont, 1969, le chapitre XXI "Ésotérisme et logique", traite justement des différence entre l'esprit logique et l'esprit analogique (ésotérique).
En voici quelques (longs) extraits - je trouve le point 5 particulièremnet pertinent -
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1. L’esprit d’analogie est dogmatique, souvent biblique. Il est établi sur la force d’une affirmation, imprimée si possible (Écritures saintes, Marx, Livre de Mao, Éternels principes de 1789). Il postule une démarche linéaire, sans retour et sans couplages. On ne revient pas sur l’acceptation d’un principe, et si des faits l’infirment, les faits ont tort. Il n’est nullement adaptatif;
2. L’esprit d’analogie est messianique, et non prévisionnel comme l’esprit logique. Il sait ce que l’on va trouver au bout de la longue chaîne de causalité linéaire qu’il défend : le bonheur de l’esprit, généralement dans la misère du corps, parce qu’il ne peut s’engager à une progression continue des moyens. L’esprit logique ne promet qu’une accélération de la connaissance et laisse à l’homme la responsabilité de ce qu’il en fera, en lui indiquant toutefois les moyens rationnels d’éviter les mésusages;
3. L’esprit d’analogie procède par assimilations, l’esprit logique par différentiations. Si l’on choisit deux ensembles A et B au hasard dans le référentiel naturel, la probabilité pour qu’ils aient des points communs est faible. Aussi est-il plus spontanémént aisé de les décrire par le petit nombre de leurs ressemblances que par leurs divergences. (...)
4. L’esprit d’analogie est homogène avec les hiérarchies linéaires, établies sur la foi, la confiance, donc fixes et conservatrices, alors que l’esprit logique est homogène avec les hiérarchies mobiles établies sur l’optimisation et le calcul. Aussi l’esprit d’analogie a-t-il pour lui sa séduction, l’esprit logique sa rigueur. Le premier est séduisant comme le Moyen Age, comparé aux subordinations industrielles. L’esprit d’analogie survole et relie les causes à des effets lointains. Il donne les joies de la perspective, de la profondeur, du survol. L’esprit logique est un pas à pas. Il donne le plaisir sportif du montagnard qui gravit, du coureur qui gagne un centième de seconde. Il évolue dans la minutie et l’acuité;
5. L’esprit d’analogie ne supporte pas l’intrusion de la logique, d’où la difficulté qu’éprouvent les régimes dogmatiques pour évoluer; par contre l’esprit logique tolère objectivement les rapports analogiques comme relations historiques, les étudie, cherche à les comprendre et à en exploiter la leçon comme celle d’une instauration porteuse d’information. Le seul fait que le second admet le premier, alors que celui-ci ne le tolère pas, en dit long sur l'élargissement de la surface mentale qui préside au passage du stade analogique au stade logique;
6. Les développements analogiques, étant établis sur l’interprétation d’un texte initial, initiatique, appellent l’activité schismatique. Les doctrines ésotériques, parvenues à un coude genérateur d’insatisfaction, se scindent en deux; (...)
L’esprit logique ne connaît pas les schismes. Si deux interprétations sont possibtes d’un même fait - et la chose s’est souvent rencontrée en physique - c’est qu’il existe un algorithme autorisant le choix. Tant que cet algorithme n’est pas écrit, le physicien reste, sans souffrance aucune, en état de suspension de jugement: cet état fait partie de l’arsenal logique. Les Grecs le connaissaient, l’employaient et le justifiaient. L’esprit anatogique ne l’admet pas; il lui substitue une erreur provisoire, une approximation, une assimilation;
7. L’esprit analogique cultive le mythe de la ligne générale. Lorsque l’hésitation atteint son maximum, lorsque tout raisonnement devient impossible, référence est faite à une orientation, à une couleur des choses, qui permet de les ranger ou non dans l’orthodoxie. Absolument sans fondement puisque tout raisonnement rationnel procède pas à pas, le concept de ligne genérale se retrouve, aux époques floues, dans tous les dogmes assimilateurs. Il existe une ligne générale dans la doctrine des templiers, dans l’alchimie, dans la civilisation maçonnique, dans le marxisme-léninisme, dans l’hitlérisme, dans tous les dogmatismes. Elle permet aux initiés de décider, en dehors de toute raison, si tel acte, telle pensée sont conformes on non. Elle désigne, sans aucune justification, les victimes pour le bûcher, pour la prison, pour la balle dans la nuque. (..)
8. L’analogie ignore les grands nombres. Son univers, tout de qualité, s’accommode d’une quantité limitée de configurations qu’il s’agit de « reconnaître ». L’ésotériste, l’hermétiste ne se préoccupent pas d’inventorier des possibilités selon les règles de l’expansion logique, de prendre conscience ou de calculer des structures, ou un référentiel. Leur préférence va aux petits nombres premiers: 3, 7, 11, 13, et leurs préoccupations ne dépassent que rarement le nombre 19. Leurs mécanismes de symétrie sont représentés par des schémas simples, croix, et étoiles, octogones. Il ne se soucient pas de découvrir le caractère combinatoire des choses de la nature; les symétries fortement entropiques, à haut degré de liberté, comme la symétrie d’ordre 6, si privilégiées dans les états naturels, ne les préoccupent pas.
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